La Chine et le Québec, une relation d'affaires qui a souffert

Les relations avec la Chine ont été plus difficiles pour les gens d’affaires québécois ces dernières années. Mais généralement pas pour les raisons auxquelles on pense, disent-ils. Et seulement de façon temporaire, espère-t-on.
Aux dernières nouvelles, la Chine était toujours le deuxième marché d’exportation du Québec, avec plus de 3,5 milliards de biens québécois achetés en 2022, soit loin derrière les États-Unis (85,5 milliards), mais nettement devant le Mexique (2,2 milliards), rapporte l’Institut de la statistique du Québec. Cette performance était comparable aux meilleures années que les exportateurs québécois avaient connues en Chine jusqu’en 2019, mais marquait une deuxième baisse consécutive par rapport à 2020 (4,8 milliards) et 2021 (4,2 milliards).
À l’inverse, les importations de produits chinois au Québec ont continué d’augmenter, passant de 12,6 milliards en 2020 à 15,6 milliards l’an dernier, contre 43 milliards de biens provenant des États-Unis et 6 milliards du Mexique.
Ce texte est publié via notre section Perspectives.
Comme bien d’autres économies, le Québec importe principalement de la Chine des produits électriques et électroniques, mais aussi des batteries, des meubles et des jouets, entre autres choses. En échange, il lui vend notamment du minerai de fer, des produits agroalimentaires et une partie de la production de son industrie aérospatiale.
Pas ce que l’on croit
Les tendances générales sur le front des exportations québécoises vers la Chine ressemblent beaucoup à ce qui s’est passé dans le secteur de prédilection de Martin Lavoie, le p.-d.g. du Groupe Export agroalimentaire Québec-Canada, la plus grande association d’exportateurs dans le domaine avec plus de 500 membres. Là aussi, on est rapidement passé de ventes records de 1,2 milliard en Chine en 2020 à un niveau plus habituel de 455 milliards l’an dernier.
On se souvient que dans la foulée de l’arrestation au Canada de la fille du fondateur du géant chinois des télécoms Huawei, Meng Wanzhou, et de deux Canadiens en Chine, Michael Spavor et Michael Kovrig, les autorités chinoises avaient soudainement trouvé toutes sortes de raisons sanitaires de bloquer à la frontière le porc, le canola ou encore le soya provenant du Canada.
Mais ça, c’était en 2018 et 2019, rappelle Martin Lavoie. Après, il y a eu la peste porcine africaine, qui a décimé le cheptel chinois et a fait exploser, pendant un an ou deux, la demande pour le porc du Québec. D’un autre côté, il y a aussi eu la pandémie de COVID-19, bien sûr, et son cortège de règles sanitaires qui ont empêché les gens d’affaires de se rencontrer, sans parler des problèmes de chaînes d’approvisionnement qui ont fait grimper les coûts de transports des marchandises.
« Il n’y a rien, en affaires, qui bat les contacts directs et personnels, explique Martin Lavoie. La pandémie est venue creuser la distance entre nous. On est contents, des deux côtés, de pouvoir commencer à se retrouver aujourd’hui. »
On a le même son de cloche du côté du Bureau de promotion des produits du bois du Québec. Il est vrai, dit l’un de ses directeurs, Sven Gustavsson, que les exportateurs de bois d’œuvre canadien ont cédé d’importantes parts de marché à leurs concurrents russes en Chine. Mais ce recul est en cours depuis 2015 et s’explique principalement par des facteurs qui n’ont rien à voir avec les problèmes géopolitiques, comme la fin de la coupe forcée et de l’exportation massive de bois en Colombie-Britannique à cause d’une maladie qui frappait les arbres, ou la plus grande proximité du marché chinois pour les Russes et du marché américain pour les Canadiens.
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Là aussi, on dit avoir souffert d’un manque de contacts directs depuis quelques années. C’était la faute des craintes soulevées par l’affaire de Meng Wanzhou et des deux Michael, mais surtout de la pandémie. On vient de commencer à reprendre contact à l’occasion, par exemple, du fameux Congrès de Montréal sur le bois d’avril dernier. « Il y avait un peu moins visiteurs chinois qu’à l’habitude, mais la conversation a rapidement été la même, raconte Sven Gustavsson. Quand les gens d’affaires se rencontrent, les barrières tombent vite, et ils parlent de ce qui est important pour eux. Et ce n’est pas de politique. »
Trop important pour être ignoré
Le marché intérieur chinois est devenu trop grand et les entreprises chinoises sont devenues trop importantes dans certains secteurs pour que les gens d’affaires, du Québec comme ailleurs, puissent vouloir s’en passer, répète-t-on.
C’est aussi l’opinion de Carl Breau, qui a un pied dans chaque monde. Propriétaire d’une usine d’électronique en Chine (Saimen) et d’une autre de panneaux d’affichage DEL à Québec (Nummax), l’homme d’affaires québécois a épousé une Chinoise et vit avec sa famille à Shanghai.
Selon lui, les relations économiques entre ses deux terres d’attache font inutilement les frais de la guerre d’influence à laquelle se livrent actuellement les géants américains et chinois, du fait que le Canada est souvent mis dans le même sac que son voisin. La tendance de certains médias à monter en épingle les tensions avec Pékin n’aide pas non plus. « En Chine, je crois que les gens d’affaires ont appris à prendre toutes ces histoires avec un grain de sel. Sur le terrain, je ne sens pas la prétendue hostilité des Chinois à l’égard du Canada. Zéro. Seulement à Shanghai, il doit bien y avoir, par exemple, peut-être 80 restaurants Tim Hortons, avec leur grosse feuille d’érable et les bâtons de hockey croisés. On ne peut pas faire plus Canada que ça. »
Ce qui ne veut pas dire que faire des affaires en Chine est facile. Bien sûr, il y a des secteurs économiques plus délicats, comme la défense, la sécurité informatique et les infrastructures de télécommunication, où les entreprises étrangères de part et d’autre ne sont généralement pas les bienvenues. Et puis, il y a la distance géographique et culturelle qui s’est creusée avec la pandémie et les tensions politiques, notamment pour les PME, qui dépendent beaucoup des missions commerciales organisées par les gouvernements pour tisser des liens aussi loin de chez elles.
« L’économie chinoise est devenue beaucoup plus sophistiquée et la concurrence y est généralement beaucoup plus forte qu’au Québec, au point, parfois, d’être coupe-gorge. Comme partout ailleurs, il faut être prudent et faire ses devoirs. »
Mais une fois les premières barrières franchies, les Québécois y trouvent souvent des partenaires d’affaires dont ils se sentent plus proches qu’ils l’auraient cru, plus proches même que leurs habituels partenaires américains, affirme Carl Breau. « Comme nous, les Chinois privilégient les relations d’affaires gagnant-gagnant plutôt que la domination. »