Quel avenir pour l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau?
Station du REM en retard, débarcadère automobile saturé, nombre de portes d’embarquement bientôt insuffisant : l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau accumule les défis et de nombreux travaux s’imposent, reconnaît son p.-d.g., Philippe Rainville. En entrevue avec Le Devoir, celui qui quitte son poste à la fin de l’été, après six ans à la barre, plaide pour que la structure de financement de l’aéroport vieillissant soit modifiée afin de l’aider à changer de visage.
Depuis la salle vitrée où il rencontre Le Devoir, le dirigeant d’Aéroports de Montréal (ADM) a une belle vue sur les divers chantiers actuels et à venir. Droit devant, un grand trou se trouve à l’emplacement de la future station du REM. « Le creusage va être fini bientôt. Nous, on finit la station au printemps 2026, si tout va bien. Après, le REM aura besoin de temps pour s’arrimer, donc ce sera en service en 2027 », souligne M. Rainville.
C’est presque trois ans plus tard que prévu. La pandémie a compromis le financement de la station pendant environ un an, puisque les revenus d’ADM ont chuté. Elle a aussi forcé la fermeture de chantiers pour des raisons sanitaires. « J’aurais aimé ça, couper le ruban », regrette en riant celui qui a piloté le dossier pendant ces temps orageux.
En attendant, se rendre à l’aéroport n’est pas toujours une partie de plaisir. « Quand l’autoroute a été bloquée, le week-end dernier, il n’y avait plus d’accès à l’aéroport. Pour une [métropole] de 4 millions d’habitants, c’est un non-sens de ne pas avoir plus d’autobus ni de lien direct », déplore le franc et chaleureux gestionnaire.
Il désigne le débarcadère automobile, où les voitures circulent pour déposer les voyageurs. « Il est à saturation. Il y a tellement de monde qui arrive ici le vendredi soir que ça refoule sur l’autoroute », illustre-t-il. Des travaux de réfection commenceront vraisemblablement l’an prochain. Un nouveau stationnement de 3000 places doit aussi être construit ; un autre, désuet, sera détruit.
Futur « vert », moment charnière
Les plans de tout ce nouvel aménagement, bâti autour de la station du REM, doivent être dévoilés par le prochain p.-d.g. d’ADM, dont l’identité n’a pas encore été annoncée. « Ça va être vert, ça va être architecturalement très joli », assure M. Rainville, qui livrera une allocution mercredi midi devant le Conseil des relations internationales de Montréal, le CORIM.
Pas question de détruire la façade en verre ni de retirer les grandes lettres affichant fièrement le nom de la métropole, dont le « O » est transformé au gré des événements. Cette semaine, il prend l’apparence d’une jonquille. Ces éléments « vintage » sont de plus en plus aimés, croit M. Rainville.
Le p.-d.g. sortant d’ADM estime par contre que pour répondre à la demande croissante de vols internationaux, une douzaine de portes d’embarquement supplémentaires devront être bâties. Le manque se fera sentir dès 2028, croit-il. Il faudrait donc en commencer très bientôt la construction.
Mais quelque chose bloque : le manque de moyens financiers. Il n’est plus possible pour l’organisme d’emprunter et de s’endetter comme par le passé, puisqu’il a déjà une dette de 2,9 milliards de dollars. La perte engendrée par la pandémie est évaluée à un milliard.
« Dans notre structure actuelle, deux choses clochent. On est locataire du terrain, ce qui fait qu’on paye au gouvernement du Canada un loyer exorbitant de 70 millions par année, ce qui représente 12 % de nos revenus. Qu’on ait une ponction dans nos finances de ce montant-là, c’est du jamais vu dans le G7. Habituellement, les gouvernements viennent aider les aéroports. Nous, c’est le contraire », critique M. Rainville.
Selon lui, le gouvernement n’aura pas d’autre option que de modifier le bail, sinon ce dernier constituera « un frein au tourisme montréalais et à la croissance d’Air Canada ».
Des changements nécessaires
En outre, il plaide pour un changement du statut juridique d’ADM. En tant qu’organisme à but non lucratif, ADM ne peut pas obtenir d’investissement privé. Les revenus proviennent donc des frais liés aux voyageurs et au passage des avions. Un statut de société juridiquement constituée permettrait de changer la donne.
« Si les gouvernements ne veulent pas subventionner nos projets, il va falloir l’apport du privé. Ça peut venir des fonds de pension, comme la Caisse de dépôt ou PSP, parce que c’est un investissement à long terme », indique M. Rainville.
Il s’inquiète pour la pérennité de l’aéroport et l’économie de Montréal si de tels changements ne sont pas mis en oeuvre. « Les gens vont se réveiller dans 5 ou 10 ans et se dire que c’est dommage de ne pas avoir de vols vers certaines destinations. En Amérique du Sud, on est peu présent encore. En Asie, on va vouloir ajouter des fréquences et des destinations », dit-il.
La personne qui lui succédera aura du pain sur la planche. Les voyageurs auront aussi leur mot à dire, puisque des consultations publiques en ligne seront lancées prochainement afin que les plans d’ADM pour les 20 prochaines années soient en phase avec les désirs et les attentes des citoyens.
Concilier environnement et voyages
Philippe Rainville se dit aussi préoccupé par une éventuelle augmentation radicale du prix des voyages aériens en raison de mesures environnementales, que ce soit « avec une taxe carbone ou par l’obligation de prendre des carburants alternatifs très chers ».
« Il y aura des pressions, et c’est normal. Il faut décarboner, que les gens réduisent le nombre de voyages qu’ils feront », dit-il. Or, la transition zéro carbone de l’aviation sera longue et complexe, croit-il.
Mais certains voyages sont essentiels et doivent rester accessibles à tous, conclut le p.-d.g. d’Aéroports de Montréal. « Il y a des bénéfices sociaux à voyager, pour les jeunes, les retraités, les familles qui veulent se réunir. »