Où en est la transition énergétique des grandes entreprises pétro-gazières ?

L’essentiel des efforts des grandes entreprises pour le climat porte sur leurs émissions directes et celles liées à l’énergie qu’elles consomment elles-mêmes.
Jean-Sébastien Evrard Agence France-Presse L’essentiel des efforts des grandes entreprises pour le climat porte sur leurs émissions directes et celles liées à l’énergie qu’elles consomment elles-mêmes.

Sous pression croissante, la plupart des compagnies pétro-gazières du monde occidental investissent dans les énergies vertes, mais sans abandonner les énergies fossiles, arguant qu’il faut répondre à la demande de pétrole et de gaz, au risque de rater l’objectif de la neutralité carbone en 2050.

Au milieu d’un parterre d’actionnaires, des voix scandent « Allez en enfer ! ». La scène s’est déroulée mardi à l’assemblée générale de Shell à Londres, prise pour cible par des dizaines de militants environnementaux. Et l’histoire se répète. Après Shell, BP et Barclays, banque accusée de financer l’exploitation d’hydrocarbures, TotalEnergies s’apprête aussi à vivre vendredi une assemblée générale houleuse, comme en 2022.

Depuis 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) presse le monde d’arrêter tout nouveau projet d’exploration pétrolière pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré par rapport aux niveaux préindustriels. Mais de nouveaux champs pétroliers continuent d’ouvrir.

Pas assez d’énergie renouvelable

L’industrie pétro-gazière, surtout européenne, s’est certes fixé des objectifs pour faire sa mue et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Mais les investissements du secteur dans les énergies renouvelables ont représenté en 2022 moins de 5 % de ses dépenses consacrées à l’exploration et à l’extraction de combustibles fossiles, selon l’AIE. Ce n’était que 1 % en 2020. Les entreprises pétro-gazières européennes font mieux, mais même chez elles, les investissements « sont minuscules comparativement à leurs dépenses pour l’expansion du pétrole et du gaz », déplore David Tong, porte-parole d’Oil Change International.

La marge de progression est énorme. Outre les énergies renouvelables, les entreprises pourraient orienter « plus de dépenses » vers des technologies telles que la captation et le stockage du carbone, le biogaz, l’hydrogène et les carburants à faibles émissions « qui semblent bien correspondre à leur expertise », estime Christophe McGlade, chef de l’unité d’approvisionnement en énergie de l’AIE. « Cela pourrait vraiment faire bouger les choses », selon lui.

Dans tout le secteur de l’énergie, une tendance se confirme en tout cas : les investissements dans les énergies bas carbone s’accélèrent, avec le solaire prêt à dépasser en 2023 les montants consacrés à l’extraction pétrolière. Ainsi, 380 milliards de dollars par jour devraient aller au solaire, contre 370 pour la production pétrolière, selon le dernier rapport de l’AIE.

Du pétrole au gaz

 

L’essentiel des efforts des grandes entreprises pour le climat porte sur leurs émissions directes et celles liées à l’énergie qu’elles consomment elles-mêmes, qui au total représentent 15 % ou moins de leur empreinte carbone (périmètres de « scopes 1 et 2 » dans le jargon). Elles y arrivent par exemple en luttant contre les fuites de méthane (le gaz naturel).

BP a ainsi diminué ces émissions de 41 % en 2022 par rapport à 2019 et a annoncé l’objectif de 50 % pour 2030, contre 30-35 % prévu en 2020. Même les compagnies américaines, longtemps rétives, s’y mettent. ExxonMobil compte ainsi réduire d’environ 20 % les émissions « à l’échelle de l’entreprise » à l’horizon 2030 par rapport à 2016.

Cependant, l’essentiel est ailleurs : ce sont les émissions indirectes liées à la combustion du pétrole dans les voitures ou du gaz dans le chauffage (« scope 3 ») qui représentent 85 % ou plus de leur empreinte carbone. Leur baisse implique mécaniquement qu’on se passe de plus en plus du pétrole (et à terme, du gaz).

Or, BP a annoncé cette année qu’il allait augmenter ses investissements dans les énergies bas carbone de la même manière que dans le pétrole et le gaz, et ainsi ralentir le rythme de sa transition. Un tollé environnemental. Au lieu de réduire les émissions indirectes liées à sa production de 35-40 % de 2019 à 2030, BP table désormais sur 20-30 %.

Chez TotalEnergies, on prévoit un maintien jusqu’en 2030 des émissions indirectes au niveau actuel, soit en dessous de 400 millions de tonnes par an, à peine moins que les 389 millions de 2022. Le pétrole ne représentera plus qu’environ 30 % de ses ventes dans la décennie (contre 55 % en 2019), mais le groupe va en revanche augmenter considérablement ses ventes de gaz. « Le secteur en 2030 sera plus dominé par le gaz que le pétrole », résume Moez Ajmi, consultant énergie chez EY.

Christophe McGlade, de l’AIE, dit : « Si les entreprises misent sur une augmentation continue de la demande de pétrole et de gaz, elles supposent implicitement que nous n’atteindrons pas nos objectifs de net zéro en 2050. »

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