Le monde du travail a changé, prévient la présidente de la CSN

La pénurie de main-d’oeuvre, l’inflation et la pandémie ont tout changé, dit la présidente de la CSN, Caroline Senneville. C’est vrai pour ce que les employeurs sont prêts à offrir et les syndicats prêts à accepter en matière de condition de travail et de salaires, mais aussi pour ce qu’il faudra faire pour ne pas rater le virage de la productivité.

La Confédération des syndicats nationaux (CSN) se targue d’être la seule centrale syndicale québécoise à apporter une aide financière directe à ses membres lorsqu’ils se retrouvent en grève ou en lockout. À six mois de la fin de son actuel exercice financier triennal, elle avait ainsi déjà versé pour presque 27 millions de prestations. C’était huit fois plus que durant son exercice précédent (3,3 millions de 2017 à 2020) et quatre fois plus que l’autre exercice auparavant (6,4 millions de 2014 à 2017).

Cette explosion est attribuable à l’adoption de nouvelles règles plus généreuses par la centrale, dont le budget total approche les 300 millions sur trois ans. Mais pas seulement. « Il y a eu beaucoup de conflits », a expliqué au Devoir la cheffe syndicale en entrevue cette semaine. « On est passés d’une paix industrielle à, disons, un climat d’effervescence. »

Cela s’est observé non seulement par le nombre de conflits de travail, mais aussi par leur ampleur et leur durée, dit-elle, citant, entre autres exemples, les conflits dans les centres de la petite enfance (CPE), à l’usine d’abattage d’Olymel en Beauce et au cimetière Notre-Dame-des-Neiges à Montréal.

Ce climat plus tendu découle notamment de la pénurie de main-d’oeuvre, de l’envolée du coût de la vie et du bouleversement des habitudes de travail vécu durant la pandémie de COVID-19, explique celle qui a succédé à Jacques Létourneau après qu’il a fait le saut en politique municipale en juin 2021. Elle présidera, toute la semaine prochaine, au Palais des congrès de Montréal, le congrès triennal de la Centrale syndicale qui compte quelque 330 000 membres.

Le gros bout du bâton

 

« On a entendu dire que grâce à la pénurie de main-d’oeuvre, les travailleurs et les syndicats avaient le gros bout du bâton. Ce n’est pas nécessairement faux, en ce qui a trait aux salaires du moins », dit-elle.

Mais la pénurie de main-d’oeuvre ne vient pas aussi sans « un effet délétère sur les conditions de travail » en matière de surcharge de travail, de roulement de personnel, de problèmes de sécurité et d’heures supplémentaires obligatoires, « et pas juste dans le secteur public », poursuit l’ancienne professeure de littérature au cégep de Limoilou à Québec.

Or, en matière de conditions de travail, « il est parfois plus facile, pour un employeur, de sortir de l’argent de sa poche que de céder du contrôle ». Caroline Senneville en veut pour preuve ces nombreux patrons qui ne veulent plus du télétravail maintenant que la pandémie est terminée. Malheureusement pour eux, « le dentifrice est sorti du tube. La preuve a été faite que ça marche ».

Les 2000 représentants de 1600 syndicats attendus au congrès de la CSN de la semaine prochaine discuteront aussi d’immigration. Particulièrement des quelque 300 000 travailleurs étrangers temporaires au Québec. Entre autres parce que leur présence, pour les autres travailleurs, vient avec des défis d’accompagnement, de formation, de communication et de santé et sécurité. Mais aussi parce que leurs conditions de travail et la précarité de leur statut apparaissent souvent « d’une injustice flagrante », déplore la présidente de la CSN, qui voudrait qu’ils soient simplement accueillis comme « immigrants permanents ». La situation actuelle est tellement déplorable qu’elle dit craindre pour la réputation internationale du Québec en tant que « société dite d’accueil ».

Virage vers la productivité

 

La pénurie de main-d’oeuvre implique aussi qu’on s’occupe beaucoup plus sérieusement des enjeux de productivité qu’on l’a fait jusqu’à présent, surtout si l’on est sérieux dans le projet d’un retour au Québec de certaines industries parties vers des pays à bas salaires. « Qui dit réindustrialisation, dit transformation du monde du travail par l’automatisation, la robotisation, l’intelligence artificielle et les gains de productivité. »

Pour ce faire, on aura besoin d’un gouvernement avec une vision d’ensemble claire et à long terme, a récemment fait valoir Caroline Senneville lors de la rencontre du premier ministre François Legault avec les représentants des grandes centrales syndicales en marge de la fête du 1er mai. Comme en Allemagne, cette politique devrait s’appuyer sur une « approche tripartite » : gouvernement-entreprises-syndicats.

La présidente de la CSN se défend d’être passée ainsi d’une logique de création d’emplois à une logique productiviste. « Il faut continuer de créer des emplois, mais des emplois intéressants et dans une économie qui a de l’avenir, qui va être pérenne. »

Tous ces enjeux se retrouvent également dans les négociations en cours du secteur public québécois, où la CSN est un acteur central du front commun intersyndical avec ses quelque 175 000 membres.

Si le caractère profondément humain de la plupart des services publics se prête peut-être moins bien à l’automatisation et aux robots, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas place à d’importants gains en matière de qualité et de productivité. « Si vous offrez de nouveaux outils permettant de mieux travailler à quelqu’un qui, aujourd’hui, doit presque mettre la vie de personnes en danger pour pouvoir prendre une pause pipi, c’est certain qu’il ne vous dira pas non. »

Bye bye boss

 

Là encore, il est aussi question de salaires. Le camp syndical réclame une indexation au coût de la vie en plus d’un rattrapage de 2 %, 3 % et 4 % sur trois ans. Le gouvernement offre plutôt 3 % la première année puis 1,5 % par année pendant 4 ans, en plus d’un 2,5 % sur cinq ans « afin de répondre aux priorités gouvernementales » et une somme forfaitaire de 1000 $ la première année.

« Ce serait inférieur à l’inflation et donc un appauvrissement des travailleurs, répond tout net Caroline Senneville. Il n’y a rien qui justifie cela dans le contexte. Ni dans le contexte économique et des finances publiques ni dans le contexte du marché du travail actuel. »

Et cela, c’est sans parler des autres reculs que voudrait le gouvernement, notamment en matière de retraite, prétextant que les employés du secteur public bénéficient de la sécurité d’emploi. Mais la présidente de la CSN prévient. Si le gouvernement ne prend pas la mesure de la situation, il se réserve une vilaine surprise tout de suite après l’éventuelle imposition de ses offres et le paiement rétroactif de ses premières augmentations salariales et de son montant forfaitaire de 1000 $. « Il y a des gens qui disent : moi, je vais prendre ça et je vais m’en aller. »

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