Des fondations qui veulent changer le monde
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Philanthropie
Lorsque des familles ou des personnes fortunées créent leur propre fondation, elles n’en retirent pas de bénéfice fiscal, en comparaison avec un don pur qui mobiliserait les mêmes ressources financières. Ce qu’elles recherchent alors, c’est d’avoir une influence. Et pour que celle-ci soit plus grande encore, elles se tournent de plus en plus vers des approches sociales et responsables jusque dans leurs investissements.
« On ne crée pas une fondation pour économiser de l’argent, mais pour donner parce qu’on en a beaucoup. Les fondateurs sentent une responsabilité importante et veulent contribuer à la société », souligne l’expert en philanthropie Daniel Asselin.
François Bernier, directeur de la planification fiscale et successorale pour l’est du Canada chez Placements mondiaux Sun Life, le confirme : créer une fondation n’est pas plus avantageux du point de vue fiscal qu’une donation pure et simple à un organisme de charité enregistré. « On a droit aux mêmes reçus et crédits d’impôt que pour un don direct à une oeuvre de bienfaisance, en fonction du montant de la donation et du niveau de revenus », décrit-il.
Un désir de pérennité
En donnant naissance à leur fondation, les grands donateurs cherchent plutôt à créer une sorte de marque en relation avec leur nom ou leur famille et les causes qu’ils souhaitent soutenir sur le long terme. « Certains ont donné leur vie à des causes et aimeraient qu’elles continuent à être avantagées après leur décès grâce à leur patrimoine. Il y a généralement un désir de pérennité ; on ne veut pas créer une fondation qui va s’étioler au bout de dix ans par manque de fonds », observe François Bernier.
Cette structure constitue aussi, pour les fondateurs, un outil de gestion des donations dans le temps. « Ils peuvent y mettre des fonds aujourd’hui et obtenir leur reçu fiscal, puis attribuer graduellement des sommes à différentes oeuvres qu’ils souhaitent soutenir au lieu de remettre d’un seul coup tous leurs dons à un organisme de charité dont la mission peut changer demain ou dont l’administration peut être modifiée », explique l’expert en fiscalité.
Des investissements d’impact
Depuis le 1er janvier dernier, les grandes fondations privées au capital de 1 million de dollars et plus ont l’obligation de distribuer chaque année 5 % de leurs actifs à d’autres oeuvres de bienfaisance. Les distributions obligatoires des fondations plus petites sont restées à 3,5 %. Le sort des 95 % (ou 96,5 %) d’actifs restants est en train d’évoluer.
Traditionnellement, les fondations estimaient qu’un rendement maximal de leurs investissements sur les marchés financiers permettait d’assurer une pérennité à l’organisation et d’augmenter le montant des dons. « Une nouvelle posture considère que la mission première d’une fondation n’est pas de générer des profits sur ses investissements — tant mieux si elles le font —, mais bien d’agir de façon pertinente à tous les niveaux de leurs actions philanthropiques pour atteindre le bien commun », observait Jacques Bordeleau, ancien directeur général de la fondation Béati, dans un entretien accordé au PhiLab l’automne dernier.
La Fondation McConnell, qui a été pionnière de cette approche en 2007, consacre aujourd’hui 20 % de son portefeuille à des investissements d’impact en phase avec sa mission, une proportion qu’elle a annoncé vouloir augmenter à 100 %. Ce mouvement d’investissement responsable, suivi notamment par les fondations Trottier, Lucie et André Chagnon ou encore Beati, « est une vague qui va continuer à durer », selon François Bernier.
Un défi pour les années à venir
« Nous devons être encore plus exigeants sur la manière dont un dollar, qui a été défiscalisé en philanthropie, est placé sur les marchés », souligne pour sa part le président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand. Il prône également des investissements en fonction des mêmes valeurs que celles qui orientent les distributions de subventions. « Si les dizaines de milliards de dollars philanthropiques sur le marché étaient investies de cette manière, on viendrait complètement changer la dynamique pour faire le bien avec 100 % du capital par an et non 5 % », encourage-t-il.
Pour M. Mayrand, les effets de la philanthropie sur les enjeux fondamentaux de notre société sont un défi dans un secteur qui s’agrandit. « La philanthropie est devenue un marché dans lequel de plus en plus de joueurs se sont lancés au sein des institutions financières et des bureaux familiaux ou gestionnaires, mais cela pose une question : cette philanthropie a-t-elle vraiment un impact sur nos besoins fondamentaux ? » interroge le p.-d.g. Pour lui, le défi des prochaines années est d’arriver à structurer et à diriger toutes les vagues d’argent pour aller chercher une portée concrète au-delà de l’optimisation fiscale.
« Dans les 800 fonds que nous avons à la Fondation du Grand Montréal, je suis capable de dire où va l’argent et comment il est distribué, mais au niveau plus global du marché de la philanthropie, il est difficile de savoir où vont les dons qui ont eu des reçus de charité et quel a été leur impact », regrette-t-il.
Quelle fortune faut-il pour créer une fondation ?
Une fondation coûte cher, car elle doit supporter de nombreux frais fixes. « Il y a un phénomène d’étiolement qui est inscrit dans le système. Il faut notamment régler des frais de constitution, établir des rapports financiers, effectuer des déclarations auprès des autorités fiscales provinciales et fédérales, distribuer une partie de son capital et faire des rendements au-delà de ces sommes si l’on veut que le système soit pérenne », explique François Bernier. Selon ses calculs, la fondation n’est pas la meilleure solution lorsqu’on dispose d’un capital inférieur à 500 000 dollars. « Elle pourra peut-être vivre 15 ans, mais on ne pourra pas la garder beaucoup plus longtemps », prévient-il. Une autre option est intéressante pour ceux qui ont une fortune inférieure à ce montant : les fonds de dotation ou fondations à vocation arrêtée par le donateur. « Ce sont des fondations virtuelles qui peuvent être créées, par exemple, dans le cadre d’organismes de charité enregistrés comme la Fondation du Grand Montréal, explique François Bernier. On peut lui donner un nom, nommer un administrateur et fonctionner pour toutes sortes de choses comme une vraie fondation, pour des frais de gestion peu élevés. » À la Fondation du Grand Montréal, qui gère 800 fonds philanthropiques, ces derniers peuvent être mis sur pied en quelques jours. « Nous aidons leurs créateurs à réfléchir à l’impact qu’ils recherchent », dit Karel Mayrand, qui souligne le besoin de faire converger les capitaux pour soutenir des causes essentielles. « Lorsqu’une maison brûle, c’est bien d’avoir beaucoup de gens avec de petits verres d’eau pour les lancer sur les flammes, mais cela n’éteindra pas le feu. Nous avons tellement de petits verres d’eau en ce moment que nous pouvons regrouper la philanthropie pour essayer d’avoir un impact plus important, et c’est ce que la Fondation du Grand Montréal essaye de faire. »
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.