Les inégalités se creusent dans les régions minières, selon des experts
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Mines et ressources naturelles
Des outils ont été mis en place pour aider les communautés locales à faire entendre leurs voix face aux sociétés minières, mais il reste que le rapport de force demeure trop largement en faveur de l’industrie.
« Les impacts sociaux des mines sont souvent mis en avant comme étant très positifs, mais il y a du négatif malgré tout », explique d’emblée Geneviève Brisson, directrice scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial, professeure titulaire et anthropologue de l’environnement à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). « Je ne veux pas nier ces effets positifs, qui sont le jeu des promoteurs et du gouvernement, et qui peuvent avoir des effets sur la création d’emplois locaux, une certaine richesse collective ou une amélioration des infrastructures et des aménagements du territoire, par exemple. Cela n’empêche toutefois pas les inégalités sociales d’exister », précise celle qui s’intéresse au sujet depuis une quinzaine d’années.
Les inégalités sociales dont elle parle sont légion dans l’industrie minière de la province. « C’est sûr que ce point n’est pas souvent mis en avant, mais ceux qui ont accès aux emplois les mieux rémunérés ne sont pas nécessairement ceux qui vivent dans les communautés près de la mine. Il s’agit parfois de personnes qui ont été formées et viennent d’endroits différents, ailleurs au Québec ou dans le monde », souligne Mme Brisson. Il s’agit donc, la plupart du temps, d’un petit groupe extérieur à la mine qui occupe les emplois les plus prestigieux et qui possède les richesses. « Les principales retombées économiques vont aux actionnaires et aux propriétaires de la mine, et non pas à la communauté, fait remarquer la spécialiste. Quand on regarde en proportion, ce sont des grenailles que la communauté reçoit. »
Des écarts qui se creusent
Plus encore, certains citoyens manquent de moyens pour avoir accès à la richesse et aux emplois de la mine, soit parce qu’ils sont inaptes à l’emploi, soit parce qu’ils ne remplissent pas les critères d’aptitude de ces emplois. Selon Thierry Rodon, professeur au Département de science politique de l’Université Laval et titulaire de la Chaire sur le développement durable du Nord, les communautés autochtones, bien qu’elles connaissent désormais mieux leurs droits, ne sont pas épargnées par cette réalité. « Pour différentes raisons, les Innus ne sont généralement embauchés que pour des emplois saisonniers de quelques mois », note l’expert en politiques autochtones au Canada.
« Mis bout à bout, ces éléments vont créer un écart beaucoup plus grand qu’il ne l’était avant », constate Geneviève Brisson. Selon elle, les communautés locales se retrouvent alors avec quelques habitants beaucoup plus riches, qui vont consommer plus, demander des biens de consommation supplémentaires et changer la forme de consommation de l’ensemble de la communauté. « À l’autre bout, on a des gens qui étaient déjà pauvres et marginalisés. Comme la masse devient plus riche, eux, par contrecoup, sont dans une situation de plus en plus précaire. Cet écart qui ne cesse de se creuser serait propice aux conflits, aux incompréhensions, voire à une rupture de démocratie. »
De fait, les groupes communautaires, véritable filet de sécurité pour les personnes les plus vulnérables, doivent gérer un plus grand volume de demandes sans nécessairement obtenir plus de financement. « Il ne faut pas en faire une généralité, mais à Malartic, par exemple, la municipalité ne voulait plus les aider au moment de la création de la mine, car cela donnait une mauvaise image de la ville », indique Geneviève Brisson.
Un contexte incertain
Puisque les mines ont toujours une durée d’exploitation connue, les communautés autochtones du Québec ont mis en place les ententes sur les répercussions et les avantages (ERA). « Le rapport de pouvoir est un peu inversé, mais ce n’est pas si simple que ça parce qu’avec ces ententes privées, les minières permettent aux Autochtones de capturer une partie de la vente, leur offrent des garanties d’emploi, de sous-traitance, environnementales, etc. Quand on regarde de plus près, c’est pourtant bien difficile à mettre en oeuvre », soulève Thierry Rodon. Ce dernier reconnaît que plusieurs minières font des efforts, mais il n’en demeure pas moins que certaines clauses de ces ERA énoncent que le conseil de bande doit s’engager à soutenir la mine, coûte que coûte. « Les redevances peuvent aussi avoir des effets déstructurants, car thésauriser n’est pas une habitude des peuples nomades, ce qui peut renforcer l’insécurité alimentaire et la pauvreté dans les communautés autochtones », ajoute-t-il.
Ces ERA, Thierry Rodon les considère toutefois comme une « arme » à la disposition des peuples autochtones. « Elles sont de plus en plus utilisées par les communautés, car si elles ne veulent pas d’une mine, il n’y en a pas. Aujourd’hui, les minières savent très bien que si elles veulent ouvrir une mine à côté d’une communauté autochtone et qu’elles n’ont pas d’entente avec elle, ça va finir en cour. Et une mine qui finit en cour, c’est une mine qui n’ouvre jamais », poursuit-il.
Le dernier maillon de la chaîne
C’est pourquoi, d’après Geneviève Brisson, les mines essaient actuellement de montrer patte blanche. « Les nouvelles minières se veulent proches des communautés et de l’environnement, mais en échange de ces habits vertueux, elles font un peu ce qu’elles veulent. » En d’autres termes, cela signifie que les entreprises s’achètent une image en créant des fondations. « Celles-ci ne sont pas proches des communautés comme on pourrait le croire, mais elles deviennent plutôt de grands philanthropes communautaires et environnementaux. Ça ne veut pas dire qu’on fait attention au cours d’eau qui coule à côté… En réalité, leurs façons de faire restent les mêmes », avertit la professeure à l’UQAR.
Pour sa part, Emmanuel B. Raufflet, professeur titulaire au Département de management de HEC et cotitulaire du Réseau québécois de recherche en économie circulaire, croit que les populations locales sont vues comme le dernier maillon de la chaîne lors de l’implantation d’une mine. « Les entreprises tiennent pour acquis que l’obtention de la licence légale va suffire, donc elles en oublient les communautés. » D’après lui, les dépenses dont les communautés sont bénéficiaires sont rarement envisagées comme un investissement du point de vue des entreprises. « Souvent, le manque d’ancrage et de connaissances des besoins de la communauté mène à pas mal de malentendus et de frustrations. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour développer ces relations », soutient-il.
Emmanuel B. Raufflet est catégorique : « Les entreprises minières sont là pour extraire, faire du profit et partir, tandis que les communautés sont là pour de bon. » Pour Geneviève Brisson, enfin, ne parler que des effets positifs et des mitigations des dommages ne fonctionne pas, « parce que les effets négatifs ne seront jamais atténués ». Selon elle, tant qu’on ne les nomme pas et qu’on ne définit pas le problème, les solutions peinent à faire leur place.
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