Hydro-Québec et la Nation crie discutent d’avenir

Mandy Gull-Masty, la cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec
Photo: Jared Gull Mandy Gull-Masty, la cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec

Hydro-Québec et les Cris sont en discussion pour augmenter la production hydroélectrique dans le nord de la province, a pu confirmer Le Devoir. La possibilité de produire plus de courant en rénovant les installations existantes — dont la centrale Robert-Bourassa, qui ne fonctionne pas à plein rendement — se trouve au coeur de ce dialogue qui pourrait refaçonner la Convention de la Baie-James.

« Le temps est venu d’évaluer l’efficacité des barrages sur notre territoire », affirme en entrevue Mandy Gull-Masty, la cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec.

Les discussions avec Hydro-Québec se sont accélérées il y a six mois, quand le premier ministre a déclaré « envisager sérieusement la construction de nouveaux barrages » pour combler la demande croissante en énergie. Ces échanges, préalables à des négociations formelles, traitent surtout de la « mise à niveau » des centrales hydroélectriques vieillissantes et des répercussions de ces travaux sur le territoire. Il peut s’agir, par exemple, de remplacer les groupes turbine-alternateur par des unités qui génèrent plus de puissance. Les Cris s’enquièrent aussi des mises à niveau potentielles qui affecteraient le débit des rivières et la hauteur des réservoirs.

Depuis son élection en juillet 2021, la cheffe Gull-Masty a rencontré deux fois Sophie Brochu, la p.-d.g. d’Hydro-Québec. Les deux femmes ont parlé du complexe La Grande, qui produit la moitié de l’électricité de la province et dont la capacité est encadrée par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Ces derniers mois, les chefs de la Nation crie se rencontrent également de leur côté pour établir leurs positions. « C’est quoi l’impact sur le territoire ? Puis ça va être quoi la nouvelle réalité pour les personnes sur la terre, qui vont à la chasse, qui vont à la pêche ? C’est notre grosse inquiétude », explique Mme Gull-Masty.

Quand le premier ministre François Legault a formulé son souhait de bâtir une nouvelle grande centrale hydroélectrique, en septembre dernier, les Cris ont subi « un choc », affirme la cheffe. « Tout à coup, tout le monde se demandait : ça va être où ? Qu’est-ce qui se passe ? On était très surpris, parce que ce n’était pas dans nos discussions avec le gouvernement », dit-elle.

La Grande rivière de la Baleine, qui coule chez les Cris et les Inuits, a fait l’objet de plans très concrets de développement hydroélectrique à la fin des années 1980. La capacité envisagée, immense, surpassait 3200 mégawatts (MW). Le projet a cependant suscité une forte opposition des Cris, qui craignaient la destruction de leur territoire, et il a été annulé en 1994 par Jacques Parizeau.

Hydro-Québec confirme les discussions

« Des discussions relatives aux travaux de pérennisation du complexe La Grande ont été entamées avec nos partenaires cris, a confirmé Hydro-Québec par courriel. Par égard pour ces discussions, nous préférons limiter nos commentaires publics à ce sujet. »

Il n’en reste pas moins que ces discussions sont urgentes pour la société d’État, qui a déjà remplacé la moitié des 16 groupes turbine-alternateur de la centrale Robert-Bourassa (La Grande-2) parce qu’ils arrivaient en fin de vie utile. Or, la capacité de ces unités modernes excède les spécifications prévues par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

En d’autres termes, Hydro-Québec pourrait déjà produire davantage de puissance avec l’équipement actuel. La société d’État n’a toutefois pas voulu détailler l’écart par rapport au plein potentiel de la centrale Robert-Bourassa. « Nous exploitons le complexe La Grande conformément aux modalités prévues à la Convention de la Baie-James », indique-t-elle.

Selon ce qu’a déjà affirmé Hydro-Québec, chaque nouveau groupe turbine-alternateur de la centrale Robert-Bourassa peut dégager 371 MW. Une fois les 16 turbines changées, la centrale pourrait donc produire 5936 MW, alors que la Convention prévoit une capacité totale de 5328 MW pour cette centrale. Plus de 600 MW sont ainsi en jeu, soit l’équivalent d’un parc de 120 éoliennes.

Le calendrier de remplacement des huit derniers groupes turbine-alternateur de la centrale Robert-Bourassa n’est pas encore établi, indique Hydro-Québec. Ce sujet sera abordé dans les discussions avec la Nation crie.

Produire 5 % plus avec les centrales

Hydro-Québec doit produire davantage d’électricité pour répondre à la demande croissante des prochaines années. Entre 2019 et 2029, la demande d’électricité au Québec devrait grimper de 20 térawattheures (+12 %), selon le plus récent plan stratégique d’Hydro-Québec. La production québécoise ne pourra suffire à la demande en période de pointe dès 2027.

Dans ce contexte, la société d’État estime pouvoir augmenter dans les prochaines années la puissance de sa soixantaine de centrales existantes de 2000 MW grâce à des travaux de réfection. Cela représente 5 % de leur capacité actuelle, qui gravite autour de 37 000 MW. La centrale Robert-Bourassa fut la première du complexe La Grande à être mise en service, en 1979.

Le Devoir rapportait récemment que la facture pour la réfection des groupes turbine-alternateur de quatre centrales — Carillon, en Outaouais, Rapide-Blanc et Trenche, en Mauricie, ainsi qu’Outardes-2, sur la Côte-Nord — s’élèverait à 2,4 milliards de dollars. Ces chantiers permettront d’ajouter 178 MW à une capacité actuelle de 1789 MW.

La p.-d.g. d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, cédera sa place le 11 avril. On ne sait pas encore qui va la remplacer. La cheffe Gull-Masty, qui n’a que de bons mots pour Mme Brochu, espère que son successeur sera aussi attentif aux demandes des Premières Nations. « Je veux qu’on s’en parle, qu’on s’assoie ensemble », soutient-elle.

À voir en vidéo