Le grand patron de la Caisse de dépôt veut mieux investir pour les générations futures

Investir vert, de manière socialement responsable et dans des entreprises dont la gouvernance est irréprochable est non seulement payant, mais c’est aussi ce qui permettra aux dirigeants de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) de regarder leurs descendants avec le sentiment du devoir accompli.
Le p.-d.g. de la CDPQ, Charles Emond, a donné mardi une véritable leçon de gestion de portefeuille durable aux quelque 500 convives réunis à l’invitation du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) pour discuter d’économie mondiale.
« Il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui agissent. La réalité, c’est qu’on a décidé d’être dans le camp de ceux qui agissaient. Nous, dans 30 ans, on veut être capables de se regarder dans le miroir quand la nouvelle génération nous dira : “T’étais où, qu’est-ce que tu faisais quand tu pouvais faire une différence ? Étais-tu juste sur le bord des lignes de côté à espérer que t’en fasses le moins possible ou t’as essayé de faire quelque chose qui allait changer les choses ?” »
Charles Emond ne cache pas que l’expansion internationale de la Caisse de dépôt, dont les trois quarts des 400 milliards de dollars d’actifs sont investis à l’étranger, repose en grande partie sur sa réputation. La CDPQ a d’ailleurs été désignée fonds de l’année parmi plus de 400 fonds de pension dans le monde par Global SWF, et numéro un mondial en investissement durable par la World Benchmark Alliance.
Entrevue avec Charles Emond
Le faux débat des critères ESG
Il déplore d’ailleurs l’incompréhension — et même l’hostilité — que provoque la question des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans certains milieux : « Il y a une polarisation par rapport au concept des ESG. Il est un peu surutilisé, manipulé. Il n’y a plus de nuances. Aux États-Unis, il y a à peu près un peu plus du tiers des États américains qui ont une sorte de loi, une législation quelconque anti-ESG en ce qui concerne l’investissement par des fonds publics », raconte-t-il.
Le résultat est qu’il y a des groupes militants « qui veulent tout mettre là-dedans, s’en servir pour pousser leur agenda, et, de l’autre côté, il y en a qui ne veulent pas y toucher avec un pole de 12 pieds ».
Or, il s’agit d’un faux débat pour une institution comme la CDPQ, qui doit plutôt rattacher ces critères « à notre mandat de fiduciaire, c’est-à-dire d’obtenir des rendements optimaux pour nos clients et aussi de faire du développement économique durable au Québec ».
Il fait valoir qu’il a été démontré que les entreprises qui font attention à ces critères ont des rendements supérieurs ou gèrent leurs risques d’une meilleure façon. Il souligne que le côté environnemental rebute les investisseurs, qui craignent des coûts élevés et des rendements faibles — ce qui est faux, dit-il —, mais qui oublient souvent le côté social, qui fait en sorte qu’une entreprise ne se souciant pas de la sécurité de son produit ou ne payant sa juste part d’impôt verra sa réputation sévèrement malmenée en 2023. De plus, une mauvaise gouvernance mènera également à une érosion de confiance à terme.
« Les gens aiment les choses binaires. Une compagnie est ESG, l’autre n’est pas ESG, et il n’y a rien entre les deux », avance-t-il, en ajoutant que rien n’est plus faux.
« Nous, ce qu’on essaie d’amener, c’est un élément de transformation », explique-t-il, soulignant que la Caisse de dépôt a un fonds de transition de 10 milliards de dollars. C’est cet argent qui lui permet, par exemple, d’acheter à bas prix une entreprise en Inde qui fonctionne au charbon, puis de financer sa transition pour en rehausser la valeur de manière exponentielle. « Il y a une façon de faire ce qui est bon pour la planète, bon pour la société, en même temps que ce qui est bon pour nos clients et bon pour les entreprises. Est-ce que c’est exigeant ? Oui, c’est exigeant, mais ça peut se faire, et on prouve que ça peut se faire », a-t-il expliqué.
À l’issue de l’allocution de Charles Emond, présentée sous forme d’entrevue dirigée par la vice-présidente de CGI, Julie Godin, l’ex-premier ministre Pierre-Marc Johnson en a salué les propos, qualifiant ceux-ci de « classe de maître » pour l’auditoire venu l’entendre.