Le problème de la main-d’œuvre hante de plus en plus Québec

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Québec prend de plus en plus la mesure du défi que pose le vieillissement de la population en matière de besoin de main-d’œuvre.
Dans son budget de la semaine dernière, le gouvernement Legault a annoncé 615 millions de dollars pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre sous forme notamment de mesures de soutien à l’intégration des immigrants, à la formation des travailleurs et à l’investissement et à l’innovation des entreprises. Il a également assoupli les règles du Régime de rentes pour encourager les travailleurs à retarder leur retraite et a présenté ses baisses d’impôt comme un moyen d’encourager les Québécois à travailler davantage.
Cela faisait des années, pour ne pas dire des décennies, que les experts mettaient en garde le Québec contre le choc démographique qui l’attendait. Cette prédiction n’était pas risquée, disaient-ils, puisque rien n’était plus facile à prévoir que l’effet combiné d’un baby-boom, durant les années d’après-guerre, suivi d’une chute marquée du taux de natalité.
Mais ces mêmes experts lèvent aussi généralement les yeux au ciel lorsqu’ils entendent aujourd’hui parler d’une « pénurie » de main-d’œuvre au Québec. Pour eux, les véritables pénuries de main-d’œuvre sont rares, très localisées et de courte durée. Elles se présentent lorsque le nombre total de travailleurs disponibles est inférieur aux besoins des entreprises, quels que soient les salaires ou les conditions de travail qu’elles sont prêtes à offrir.
Elles touchent généralement une profession en particulier, dans une région donnée et de manière temporaire, et s’incarnent entre autres par des postes qui restent longtemps vacants.
Dans le cas du Québec en général, nos experts préfèrent le concept de « rareté » de main-d’œuvre, qui est associé à un phénomène plus étendu et plus diffus. Il se caractérise par une difficulté accrue des employeurs à recruter et à retenir les travailleurs, que ce soit parce que le nombre de ces derniers diminue avec le vieillissement de la population ou parce que l’économie est très vigoureuse. Cela peut être aussi parce que la formation ou les compétences des travailleurs disponibles correspondent mal aux besoins des entreprises, ou parce qu’une partie des travailleurs qui pourraient être aptes — comme les femmes, les immigrants ou les personnes plus âgées — ne sont pas sur le marché du travail.
Depuis 2021, le Québec compte, au total, plus de postes vacants que de chômeurs. Bien qu’en diminution, ce phénomène était encore vrai au quatrième et dernier trimestre de l’année dernière, avec environ 183 000 chômeurs pour près de 208 000 postes vacants (dont 90 000 depuis 120 jours ou plus), a rapporté jeudi dernier l’Institut de la statistique du Québec.
« Personnellement, j’utilise souvent les deux termes conjointement, mais pas de manière interchangeable, car ils ne veulent pas dire la même chose », expliquait la semaine dernière au Devoir un économiste de la CSN à propos de la rareté et de la pénurie de main-d’œuvre. De manière générale, c’est avec une rareté de main-d’œuvre que le Québec est aux prises, et elle s’intensifie, disait-il. Toutefois, la situation est devenue tellement difficile à plusieurs endroits qu’il est juste de parler aussi non pas « de la » pénurie de main-d’œuvre, mais « des » pénuries de main-d’oeuvre qui affligent un nombre grandissant de professions et de régions.
Emna Braham préfère elle aussi parler de « rareté de main-d’œuvre » ou de « difficultés de recrutement » lorsqu’il est question de la situation générale au Québec, expliquait-elle le même jour. La directrice générale de l’Institut du Québec constate cependant une popularité grandissante de l’expression « pénurie de main-d’œuvre » dans le discours public québécois. Peut-être pour exprimer le fait que le problème devient plus aigu.
Cette tendance se reflète notamment dans la façon que le gouvernement a de parler du phénomène.
En fait complètement absente jusque-là, l’expression « rareté de main-d’œuvre » a réellement commencé à faire son apparition dans les centaines de pages des plans budgétaires du gouvernement du Québec au tournant des années 2020. En 2021, le nombre de mentions passe de 1 à 11, alors qu’il n’y est toujours pas question de « pénurie de main-d’œuvre ». L’année suivante, le nombre de « rareté » a plus que triplé (avec 37 mentions), alors qu’on n’évoque une « pénurie de main-d’œuvre » que trois fois. Mais la situation s’est complètement inversée dans le budget présenté par Eric Girard la semaine dernière, la « rareté de main-d’œuvre » ayant été rayée de la carte au profit de la « pénurie de main-d’œuvre », qui apparaît à 58 reprises.
Eh bien, doivent soupirer nombre de démographes, ils en ont mis du temps !