Une brassée grâce au soleil

Leopold von Bismarck songeait depuis des années à contribuer à la transition énergétique non seulement en réduisant sa consommation, mais également en produisant sa propre énergie verte. Le voici sur le balcon de ses parents, où il a installé huit panneaux solaires.
Photo: Roxane Léouzon Le Devoir Leopold von Bismarck songeait depuis des années à contribuer à la transition énergétique non seulement en réduisant sa consommation, mais également en produisant sa propre énergie verte. Le voici sur le balcon de ses parents, où il a installé huit panneaux solaires.

La hausse des prix de l’électricité et du gaz naturel pousse les Allemands à miser plus que jamais sur les sources renouvelables, de même que sur l’efficacité et la sobriété énergétiques. Voici quelques exemples d’entreprises, de citoyens et de municipalités qui donnent le ton et influencent leurs compatriotes. Peuvent-ils aussi nous inspirer, au Québec et au Canada, alors que nos besoins en électricité sont appelés à augmenter ?

C’est avec enthousiasme que Leopold von Bismarck ouvre chaque semaine, sur son téléphone, l’application We Do Solar. « Ça m’indique combien d’énergie j’ai économisée avec mes panneaux solaires et ce que ça signifie en matière d’émission de CO2. Ça me donne un sentiment de satisfaction très précieux », raconte l’homme en congé de paternité, depuis le spacieux et raffiné salon berlinois de ses parents.

Pendant ce temps, le réfrigérateur, le routeur et plusieurs appareils électroménagers fonctionnent grâce à de l’énergie produite à partir du petit balcon donnant sur une vaste cour intérieure. À quelques pas de là, de jeunes familles se promènent de kiosque en kiosque dans le marché éphémère de ce quartier huppé.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

M. von Bismarck songeait depuis des années à contribuer à la transition énergétique non seulement en réduisant sa consommation, mais également en produisant sa propre énergie verte. Pour les citadins, l’une des seules options, assez récente, est de poser des panneaux solaires sur leur balcon. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, le Berlinois a décidé d’agir. Il a choisi la compagnie We Do Solar et a reçu ses huit minces panneaux dans des boîtes devant sa porte.

Ravi de son expérience, M. von Bismarck a accepté d’en parler avec Le Devoir à la suite d’un appel lancé aux clients par la cofondatrice de l’entreprise Karolina Attspodina. Cette Ukrainienne, qui vit à Berlin depuis une douzaine d’années, souligne que la demande pour ses produits, vendus un peu partout en Europe, mais surtout en Allemagne, a augmenté de 70 % depuis la fin février 2022. L’attente pour s’en procurer est d’environ six mois.

« D’un côté, c’est horrible ce qui arrive en Ukraine et j’espère que ça se terminera bientôt, dit la polyglotte, dont la majorité de la famille habite toujours à Kiev. Mais de l’autre, ça a presque réveillé les gens. C’est important d’être indépendant des pays agresseurs qui ont le pouvoir de contrôler nos vies. »

De plus en plus d’Allemands semblent vouloir prendre leur destinée énergétique en main. La quantité de panneaux solaires installés dans le pays est en augmentation constante depuis au moins une douzaine d’années. Environ 2,65 millions de systèmes photovoltaïques étaient utilisés à la fin de 2022, selon l’Association fédérale de l’énergie solaire, dont 70 000 sur des balcons. Un cinquième des propriétaires immobiliers possédant un toit adapté ont l’intention d’en installer en 2023, selon un sondage de cette organisation.

Une solution accessible

En fondant We Do Solar, il y a environ deux ans, Mme Attspodina avait pour objectif d’offrir des solutions pour que tous les citoyens, même ceux vivant en appartement, puissent participer individuellement à ce mouvement. Ça a commencé par le panneau solaire pour balcon à balustres. Elle et son associé ont conçu un produit unique à partir de technologies existantes. Celui-ci est ensuite fabriqué en Chine, qui domine ce marché.

« Nous utilisons des panneaux monocristallins, qui sont flexibles en raison du silicone qui se trouve à l’intérieur. De plus, ils sont faits de petites plaques posées les unes sur les autres, ce qui permet de plier les panneaux. Ils peuvent épouser la forme du contour d’un balcon rond, par exemple », explique la femme d’affaires au regard bleu déterminé.

Comme son propre logement est mal orienté pour capter les rayons du soleil, Leopold von Bismarck a proposé ses nouveaux jouets à ses parents, qui habitent au 4e étage du même immeuble. Là, le soleil plombe plusieurs heures par jour.

« Je les ai installés moi-même, très facilement. Ils sont légers, soit environ un kilogramme. Ils sont discrets, mais ils permettent de cacher la vue de leur chambre aux voisins », rapporte dans un anglais impeccable ce diplômé en génie industriel, qui a étudié quelques mois à Ottawa par le passé.

Leur utilisation est également très simple, explique-t-il. Les panneaux sont reliés à un onduleur, un dispositif qui transforme l’énergie du panneau solaire en courant électrique alternatif. Celui-ci est ensuite connecté à un fil qui peut être branché dans la prise électrique ordinaire du domicile pour alimenter les divers appareils électriques.

« Comme l’énergie solaire est plus puissante que celle du réseau, les appareils prennent d’abord l’énergie qui provient des panneaux », souligne le jeune homme aux courts cheveux châtains.

Un investissement à long terme

M. von Bismarck ne sait pas combien il économisera par année, puisque son électricité est facturée annuellement. Mais le coût de l’électricité étant presque huit fois plus élevé en Allemagne qu’au Québec, si on se fie aux données de la première moitié de 2022, le montant peut grimper rapidement. Selon ses prévisions, il devrait rembourser son investissement initial de 1099 euros en plus ou moins cinq ans.

Depuis peu, les subventions du gouvernement allemand pour encourager la production solaire permettent aux ménages de faire baisser à 600 euros le coût d’acquisition du système, qui a une durée de vie de plus de 25 ans, assure Mme Attspodina. Par ailleurs, une grande partie de ses clients détiennent des véhicules électriques. « Si vous avez une telle voiture, vous recevez chaque année un certificat de CO2 qui a une valeur marchande. Nous vous fournissons gratuitement nos panneaux en échange de votre certificat, que nous revendons à des compagnies pétrolières qui sont obligées d’en acheter », explique l’ingénieuse entrepreneure.

Des entreprises offrent également les panneaux We Do Solar à leurs employés, en location, comme avantage social. « Les employés peuvent ainsi réduire leur facture d’énergie, et la compagnie obtient des crédits carbone qui lui permettent d’atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre », précise Mme Attspodina.

Elle et son associé travaillent à l’élaboration de panneaux pouvant être installés à des endroits différents, notamment des fenêtres et des balcons en ciment ou en verre. Ils comptent aussi améliorer leur application pour téléphone intelligent, afin d’accompagner les utilisateurs vers un usage plus efficace de leur énergie, par exemple en donnant des indications météorologiques pour qu’ils puissent faire une « brassée de lavage » à des moments stratégiques.

Le marché nord-américain est déjà dans leur ligne de mire. Il faudra toutefois modifier le voltage et la prise électrique pour que le système puisse y fonctionner, de même qu’obtenir des autorisations liées à la sécurité. « Des Canadiens ont déjà voulu en acheter ici pour les rapporter chez eux. Mais on ne peut pas faire ça ! » prévient Mme Attspodina.

Cette dernière s’attend à ce que d’autres compagnies, un peu partout dans le monde, commercialisent des produits similaires. Et c’est loin de la déranger. Il y a beaucoup de besoins et de place dans ce marché d’avenir.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.



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