Silicon Valley Bank: une crise pas encore tout à fait évitée

Le Trésor américain a tranché : tous les déposants à la Silicon Valley Bank vont ravoir leur argent. Washington épargne ainsi une crise aux ramifications possiblement internationales à un secteur technologique déjà malmené par la volatilité boursière de la dernière année. Mais tout n’est pas encore réglé, loin de là.
En fait, l’impact de cette faillite pourrait se faire sentir à long terme, observe l’associé principal et cofondateur du fonds montréalais Real Ventures John Stokes. « Il y a tout à coup un niveau d’incertitude relatif au risque de faire affaire exclusivement avec une seule banque, ce qui n’était pas là il y a deux semaines », dit-il en entrevue au Devoir. « Sans doute que plusieurs investisseurs ou entrepreneurs voudront faire affaire avec plus d’une banque à l’avenir. »
Le pire de la crise a été évité lundi en fin d’avant-midi puisque la Réserve fédérale (Fed) et le Trésor des États-Unis ont rendu disponibles des liquidités. La veille, ils avaient annoncé conjointement qu’ils se portaient garants de toutes les sommes que voudront récupérer les déposants de la Silicon Valley Bank. Les deux institutions vont plus loin et dégageront des fonds pour aider d’autres institutions financières sous-capitalisées à couvrir les demandes de retrait de leurs clients si elles ne sont pas en mesure de le faire.
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Balado | La déconfiture de la Silicon Valley BankÀ Washington, comme sur Wall Street à New York ou même ici, au Québec, on redoutait jusque-là un effet boule de neige où un nombre important d’entreprises se présenteraient en même temps au guichet pour retirer toutes leurs billes. Malgré le cadre législatif qui les oblige à garder en poche une somme minimale censée couvrir de telles situations, les banques n’ont pas en main la totalité des sommes qui leur sont confiées au fil du temps.
« Le système bancaire américain demeure résilient, car il repose sur des fondations solides », ont assuré par communiqué la Fed et le Trésor américain. « En bonne partie, c’est grâce à une réforme effectuée après la crise financière [de 2008] qui a imposé des garde-fous plus stricts aux banques. »
Si le système bancaire a résisté, la confiance dans ce système a probablement perdu de son lustre, nuance John Stokes. « Après la surévaluation des start-up ces dernières années, voilà un autre événement qui vient effriter la confiance qu’on peut avoir dans le système. Et moins il y a de confiance, plus il est difficile pour le système de bien fonctionner. »
Le crédit encore en suspens
Malgré les protections garanties au cours du week-end par les autorités financières des États-Unis et du Canada qui protégeaient jusqu’à hauteur de 250 000 $US les clients de la Silicon Valley Bank, aussi connue sous l’acronyme SVB, les craintes étaient grandes, jusqu’à l’annonce du Trésor et de la Fed, qu’un manque de liquidités soudain fasse trébucher plus d’une société technologique d’envergure. Des noms connus jusque chez nous, comme DoorDash, DocuSign et Roku, figurent parmi ses quelque 40 000 clients, la plupart des entreprises technologiques.
Des entreprises canadiennes comme la plateforme de paiement Shopify et le service financier Borrowell sont également clients de la Silicon Valley Bank.
Vendredi, le p.-d.g. de la très influente firme d’investissement Y Combinator, Garry Tan, a qualifié la faillite de la Silicon Valley Bank d’événement « du calibre d’une extinction de masse » pour l’écosystème des jeunes pousses nord-américaines. Ironiquement, M. Tan et ses homologues dirigeants d’autres firmes de capital-risque très présentes en Californie — épicentre des technos nord-américaines — ont grandement accéléré la chute de l’institution en incitant les nombreuses entreprises dans lesquelles ils participent à retirer tout leur argent dormant dans leur compte bancaire à la SVB.
Celles-ci pourront malgré tout récupérer toutes leurs billes. Celles qui au contraire subsistaient grâce à une ligne de crédit à la banque — et qui n’ont donc pas en main le capital nécessaire pour traverser les prochaines semaines — ne sont pas sorties du pétrin, puisque leur situation n’est pas protégée par le gouvernement américain. La Silicon Valley Bank sera de son côté liquidée au plus offrant aussi tôt que possible par l’autorité financière, qui s’en est portée acquéreuse le temps de régler la situation.
Une faillite
À hauteur de 175 milliards de dollars américains, la faillite de la Silicon Valley Bank est la deuxième faillite bancaire en importance aux États-Unis après celle de la Washington Mutual en septembre 2008. La banque californienne est très présente dans le secteur technologique américain.
Une hausse rapide des taux d’intérêt et un marché de l’investissement en capital-risque refroidi par la volatilité économique des derniers mois ont entraîné plusieurs entreprises technologiques de toute taille à puiser en même temps dans leurs réserves financières auprès de la SVB pour payer des factures que leurs revenus ne suffisent pas à éponger.
Les liquidités se sont avérées insuffisantes pour satisfaire toutes les demandes reçues par la banque de la Silicon Valley, d’où la mise en faillite de la banque californienne.
Quels risques de contagion ?
La fermeture de la Silicon Valley Bank va-t-elle faire tache d’huile ? Des analystes financiers interrogés lundi par l’Agence France-Presse (AFP) restent pour l’instant plutôt optimistes en raison des mesures prises par les autorités américaines, mais les marchés s’inquiètent.
Va-t-on revivre la grande crise financière de 2008 ?
« On n’est pas dans la même situation, c’est beaucoup plus circonscrit, avec un certain type de banques et une clientèle d’un certain secteur [des banques régionales travaillant beaucoup avec le secteur technologique] », indique à l’AFP Éric Dor, directeur des Études économiques à l’école de commerce IESEG.
SVB reste « un cas assez particulier », renchérit Lionel Melka, associé chez la société d’investissement Swann : selon lui, la tendance a pu être accentuée par la « soudaineté » de la faillite, mais « ça va se calmer », et la crise bancaire est déjà « circonscrite » avec les mesures des autorités américaines.
« Les banques sont dans une position beaucoup plus solide qu’elles ne l’étaient avant la crise financière » de 2008, juge également dans une note DWS, le plus grand gestionnaire d’actifs en Allemagne.
À court terme, « il y aura deux choses à surveiller : si les actions des autorités réussissent à maintenir (ou à restaurer) la confiance dans le système bancaire américain, et s’il y a d’autres institutions avec des vulnérabilités similaires à SVB tapies dans l’ombre, aux États-Unis ou dans d’autres économies », tempère Neil Shearing, économiste principal de Capital Economics, dans une note.
Même son de cloche chez Paul Dales, chef économiste de Capital Economics, qui voit des éléments rassurants dans la façon dont « les autres banques sont régulées ou ont passé des tests de résistance ». Mais il prévient « du risque que d’autres banques se retrouvent en difficulté si les gens retirent des fonds et que cela pousse à une perte de confiance plus grande, qui serait difficile à rattraper ».
Le relèvement des taux par la Fed a-t-il joué un rôle ?
« Comme chaque fois, c’est une augmentation des taux d’intérêt par la Fed qui révèle les fragilités du système », estime Éric Dor. La hausse des taux brutale depuis un an a également « révélé les excès post-COVID » qui sont « en train d’être corrigés », notamment pour les acteurs « ayant mal géré leurs positions » dans le nouvel environnement financier, ajoute Alexandre Baradez, analyste d’IG France.
Agence France-Presse