La facture du pipeline Trans Mountain grimpe à plus de 30 milliards de dollars

La facture du projet d’expansion du pipeline Trans Mountain grimpe encore. Selon une mise à jour publiée vendredi, le coût total du pipeline destiné à l’exportation de pétrole des sables bitumineux atteindra 30,9 milliards de dollars. Au moment où le gouvernement Trudeau a racheté le projet, en 2018, la facture était estimée à 7,4 milliards de dollars. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a néanmoins réitéré que le projet constituait « un investissement dans l’intérêt national ».
L’an dernier, Trans Mountain Corporation (TMC) avait déjà révisé la facture, qui était alors passée à 21,4 milliards de dollars. Avec la nouvelle révision annoncée vendredi, on constate que la facture de construction du nouveau pipeline reliant l’Alberta aux côtes de la Colombie-Britannique a été multipliée par quatre depuis le rachat, pour 4,5 milliards de dollars, du projet de la pétrolière texane Kinder Morgan.
Selon ce qui a été précisé par voie de communiqué, de « nombreux facteurs » expliqueraient cette hausse marquée des coûts, « dont l’engagement pris par Trans Mountain d’assurer la sécurité du projet et des communautés, la protection des sites importants sur le plan culturel pour les Autochtones, la préservation de l’environnement et la construction d’un pipeline de qualité à long terme ».

En ce qui a trait au calendrier, TMC estime que « 80 % des travaux de construction du projet sont terminés ». On prévoit que tous les « aspects mécaniques » seront parachevés d’ici la fin de 2023. Le transport de brut dans le nouveau pipeline devrait donc débuter pendant le premier trimestre de 2024.
TMC a aussi indiqué vendredi que la capacité offerte par le projet était principalement répartie entre 11 expéditeurs qui ont pris des engagements « en vue d’utiliser 80 % de la capacité disponible dans le cadre de contrats de transport fermes à long terme d’une durée de 15 et de 20 ans ». Au moment où la planète doit réduire sa dépendance aux énergies fossiles, l’entreprise est donc assurée de pouvoir transporter annuellement au moins 260 millions de barils de pétrole, et ce, pour plusieurs années.
« Intérêt national »
Une fois achevé, le duo de pipelines (qui comprend un pipeline construit en 1953) transportera 890 000 barils de pétrole brut albertain par jour, soit 325 millions de barils par année, jusqu’à un port situé près de Vancouver. Le projet fera donc tripler le débit de pétrole et multipliera par sept le nombre de pétroliers chargés dans la région de Vancouver, qui passera de 5 à 34 bateaux par mois. Ces navires traverseront notamment l’habitat essentiel des épaulards résidents du Sud, une population de cétacés au seuil de l’extinction.
Si TMC parvient à utiliser le pipeline à son maximum, soit pour transporter 325 millions de barils par jour, le pétrole qui serait exporté chaque année grâce à cette infrastructure pourrait produire plus de 125 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) annuellement. Ce calcul tient seulement compte des émissions générées lors de l’utilisation de la ressource. Selon les données de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, chaque baril de pétrole brûlé génère 0,43 tonne de GES, et à l’heure actuelle, 90 % du pétrole utilisé dans le monde est brûlé.
Réagissant à la mise à jour du projet d’exportation d’énergies fossiles, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, s’est voulue rassurante. « Le gouvernement fédéral a fait l’acquisition de TMC et du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain en 2018, en sachant qu’il faisait alors un investissement important et nécessaire ù un investissement dans l’intérêt national qui permettra d’accroître la souveraineté et la résilience du Canada et de l’économie canadienne », a-t-elle soutenu dans une déclaration écrite.
« Une fois terminé, le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain permettra au Canada de recevoir une juste valeur marchande pour ses ressources alors que nous travaillons à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 », a-t-elle ajouté.
« Perte nette »
En juin dernier, le directeur parlementaire du budget a toutefois publié un rapport qui concluait que l’expansion du pipeline ne serait pas rentable pour le gouvernement fédéral. « La décision prise par le gouvernement en 2018 d’acquérir, d’agrandir, d’exploiter puis de céder les actifs du réseau de pipelines Trans Mountain occasionnera une perte nette pour le gouvernement fédéral », pouvait-on lire dans le document. Ce rapport s’appuyait sur le coût évalué à l’époque à 21,4 milliards de dollars.
Selon une étude publiée au printemps 2021 (soit près de deux ans avant la mise à jour de vendredi) par une équipe de chercheurs de l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, les Canadiens risquent de perdre plus de 12 milliards de dollars avec le projet d’agrandissement du pipeline Trans Mountain. D’après les différents scénarios évalués, les pertes pourraient varier entre 3,2 milliards et plus de 18,5 milliards. Quel que soit le scénario, aucun n’a montré que le projet pourrait générer un bénéfice pour le gouvernement.
Le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin, a réaffirmé vendredi que le projet était une erreur. « L’achat de ce pipeline est l’une des pires décisions jamais prises par le gouvernement canadien en matière d’infrastructures. Trans Mountain a toujours été un désastre en regard de la crise climatique, mais il est maintenant clair que c’est un crime économique, alors que 30 milliards de dollars canadiens de fonds publics ont été volés et ne pourront pas être utilisés pour financer les vraies solutions climatiques. »
Le gouvernement Trudeau a dû aller jusqu’en Cour suprême pour défendre ce projet de développement en faveur de l’industrie des énergies fossiles, en raison de l’opposition de la Colombie-Britannique. La Cour suprême a finalement jugé en janvier 2020 que seul le gouvernement fédéral pouvait réglementer le transport interprovincial de pétrole, notamment en vue de son exportation.