La Banque du Canada maintient son taux directeur à 4,50%, sous conditions

Pour la première fois en un an, la Banque du Canada a marqué une pause dans le relèvement de ses taux d’intérêt. Elle se dit toutefois prête, si nécessaire, à donner d’autres tours de vis pour s’assurer de mettre l’inflation au pas.
La banque centrale canadienne a maintenu son taux directeur à 4,5 % mercredi. Largement anticipée par les analystes et les marchés financiers, la décision vient après qu’elle eut signifié, au moment de sa dernière hausse de 0,25 point de pourcentage en janvier, son souhait de marquer « une pause conditionnelle » afin de mesurer l’efficacité du resserrement accéléré de sa politique monétaire depuis un an.
Dans le bref communiqué expliquant sa décision, la Banque du Canada a fait état de signaux économiques contradictoires. D’un côté, la croissance « a été nulle » au quatrième trimestre de l’année dernière, alors qu’elle s’attendait à mieux. À l’inverse, « l’emploi a progressé avec une force surprenante, le taux de chômage se maintient près des creux historiques et le nombre de postes vacants est élevé ». Quant à l’inflation, elle a baissé de 6,3 %, à 5,9 %, sur un an en janvier, mais « les prix des aliments et du logement affichent encore de fortes augmentations ».
« Dans l’ensemble, les plus récentes données concordent encore avec l’attente de la Banque voulant que l’inflation […] descende pour avoisiner 3 % au milieu de l’année » dans un lent retour à la cible de 2 % pour 2024, a-t-elle conclu. Les dernières mesures de l’inflation fondamentale à plus court terme s’approchaient déjà d’un taux annualisé de 3,5 %.
Elle compte notamment sur le fait que le coup de frein de plusieurs banques centrales dans le monde se reflétera de plus en plus sur la croissance économique, la demande de travailleurs et l’augmentation de leurs salaires au Canada. Elle espère aussi qu’une reprise économique plus vigoureuse que prévu en Chine ou la guerre en Ukraine ne viendront pas compliquer les choses.
Pas de baisse de taux en vue
Comme en janvier, la banque centrale ne semble absolument pas à l’étape de parler du moment où pourrait venir la première baisse de son taux directeur, qui se trouve actuellement à son plus haut niveau depuis novembre 2007. Au contraire, elle précise plutôt que, si son conseil de direction s’attend « à maintenir le taux directeur au même niveau », il « se tient prêt à relever encore le taux directeur si cela est nécessaire pour ramener l’inflation à la cible ».
Parallèlement, la banque centrale continuera de laisser fondre graduellement l’importante réserve d’actifs financiers qu’elle a aussi constituée pendant la pandémie de COVID-19, simplement en ne les renouvelant pas lorsqu’ils arriveront à échéance.
Selon les économistes de la Banque Nationale, plus de 23 milliards de dollars devraient ainsi sortir de son bilan seulement au cours du deuxième trimestre. La semaine dernière, ce bilan s’élevait à 325 milliards, soit 100 milliards de moins qu’un an auparavant, a noté mercredi l’un de leurs confrères de la Banque Laurentienne, Sébastien Lavoie.
De la pandémie à l’envoléede l’inflation
Rappelons que la Banque du Canada a réduit ses taux à un niveau plancher de 0,25 % durant la pandémie pour donner le plus d’oxygène possible à l’économie. Elle s’est engagée aussi dans un achat massif d’obligations gouvernementales et d’autres d’actifs financiers pour y injecter des liquidités supplémentaires (assouplissement quantitatif).
Ayant retenu des crises passées qu’on pouvait plomber la reprise économique en réduisant pareil assouplissement monétaire avec trop d’empressement, elle a voulu se faire patiente par la suite, jusqu’à se rendre compte qu’elle avait sous-estimé l’ampleur et la rapidité du rebond de l’inflation.
Avant son annonce de mercredi, elle avait procédé à huit hausses consécutives de son taux directeur, le portant depuis le mois de mars de l’an dernier de 0,25 % à 4,5 %, entraînant dans son sillage les taux d’intérêt exigés par les institutions financières pour les hypothèques, marges de crédit et autres formes de prêts aux particuliers et aux entreprises.
La Banque du Canada estime qu’au milieu de la fourchette allant de 2 % à 3 %, son taux directeur a un effet neutre sur la consommation des ménages et l’investissement des entreprises. En dessous, sa politique monétaire les stimule ; au-dessus, elle freine la demande (et par le fait même la croissance des prix).
Le gouvernement fédéral a confié à la Banque du Canada la mission de maintenir l’inflation à un niveau bas et stable de 2 %, ce qu’elle était remarquablement bien parvenue à faire pendant plus de 20 ans, jusqu’à ce que la pandémie, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et la guerre en Ukraine viennent brouiller les cartes.
Se donner le temps
Il faudra du temps à la Banque du Canada pour évaluer l’impact de ses hausses de taux d’intérêt sur l’économie et l’inflation, ont rappelé plusieurs analystes mercredi. Elle estime généralement que de tels changements ne produisent pleinement leurs effets qu’après 18 à 24 mois.
Sa lecture de la situation a été compliquée jusqu’à présent par des données économiques apparemment contradictoires. L’indication d’un ralentissement marqué de l’activité économique à la fin de l’année dernière a d’abord incité plusieurs analystes à penser qu’elle pourrait assouplir sa politique monétaire plus rapidement que prévu. L’annonce d’une croissance surprise de l’emploi en janvier en a convaincu d’autres qu’elle pourrait, au contraire, relever encore ses taux d’intérêt bientôt.
« La Banque du Canada n’est clairement pas pressée de bouger », a indiqué mercredi un économiste de la Banque TD, James Orlando, dans une brève analyse.
Une autre difficulté viendra notamment de l’intention déclarée de la Réserve fédérale américaine, de son côté, de poursuivre le resserrement de sa propre politique monétaire. Et de l’effet que cela pourrait avoir sur la valeur de la devise, et donc sur les exportations et importations canadiennes, ont souligné plusieurs observateurs. Mais, comme la Banque du Canada n’en a fait aucune mention mercredi, il faut croire qu’elle est prête à tolérer un certain écart, a observé Avery Shenfeld, de la Banque CIBC.
On en saura peut-être plus jeudi, à l’occasion d’un discours prévu de la première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Carolyn Rogers.
Pour le reste, il faudra faire comme la banque centrale et rester attentif aux données économiques. Vendredi, ce seront les chiffres sur l’emploi pour le mois de février. Puis viendront ceux sur l’inflation (21 mars) et ceux sur la croissance économique (31 mars). Prochaine réunion de politique monétaire et portrait d’ensemble de l’économie de la Banque du Canada : le 12 avril.