Le fisc québécois fou de ses enfants
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Finances personnelles
Le fisc québécois aime manifestement les enfants. Le régime fiscal de la province se démarque du reste du Canada pour sa générosité à l’endroit des familles monoparentales et des ménages à faible revenu, à condition d’avoir des enfants. La province se classe même en tête de liste des principales économies industrialisées du monde pour son soutien aux familles moins nanties.
Les deux tiers (66,5 %) des contribuables québécois ont déclaré un revenu annuel inférieur à 50 000 $, en 2019, indique le Bilan 2023 de la fiscalité au Québec, produit par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. C’est 20 000 $ de moins que le revenu moyen, estimé à 70 128 $ pour 2021. Si ce montant paraît faible, ces contribuables bénéficient toutefois d’une fiscalité avantageuse, en particulier s’ils ont des enfants.
Une personne seule avec deux enfants et un salaire annuel de 47 000 $, par exemple, finira l’année avec 54 000 $ en poche, une fois encaissés les transferts gouvernementaux auxquels elle a droit et le retour de ses retenues d’impôt à la source. Pour une famille dans cette situation, le Québec ressemble à une véritable terre promise. « C’est ici que la charge fiscale nette* de ces familles est la plus faible au Canada », indique Tommy Gagné-Dubé, membre de la Chaire et professeur adjoint au Département de fiscalité de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. « La province se classe 2e parmi les 31 économies de l’OCDE », ajoute le chercheur.
Le fisc québécois affiche la même sollicitude pour les couples avec enfants, dont le salaire ne dépasse pas la moyenne provinciale. Leur charge fiscale représente 8,2 % de leurs revenus. « C’est aussi la charge la plus faible au Canada », signale Luc Godbout, titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques. C’est également l’une des plus faibles parmi les économies de l’OCDE. Le Québec se classe au 6e rang, juste derrière la Nouvelle-Zélande et la Suisse.
Un régime doublement progressif
La générosité relative du système fiscal québécois s’arrête à peu près là pour les particuliers. Chez les célibataires, les couples sans enfants ou dont le salaire atteint et dépasse la moyenne, le Québec se montre un peu plus austère. « Quand le revenu s’améliore, l’impôt prélevé augmente vite », signale Luc Godbout. Un couple avec deux enfants, dont le salaire s’élève à 140 000 $ (deux fois le salaire moyen) par exemple, voit sa charge fiscale atteindre 26,4 % de son revenu. Il s’agit de la charge la plus lourde au Canada, après Terre-Neuve, et l’un des efforts les plus importants parmi les économies de l’OCDE. En guise de comparaison, la charge fiscale du même couple atteint 15,2 % aux États-Unis.
« S’il y a une chose qui caractérise le système fiscal québécois, c’est sa progressivité », explique Luc Godbout. « Le Québec a fait le choix d’offrir des programmes de soutien aux familles plus ciblés, moins universels », poursuit-il. « Lorsque le salaire d’un individu augmente, il se retrouve avec des taux d’imposition plus élevés, mais il perd aussi l’aide de l’État dont il profitait. Les deux facteurs mis ensemble accentuent le caractère progressif de notre fiscalité. »
Des baisses d’impôt ?
Les deux chercheurs universitaires estiment que certaines conditions doivent être remplies avant d’envisager les baisses d’impôt projetées par le gouvernement de François Legault. « On doit d’abord s’assurer d’avoir les moyens de se les offrir », croit Luc Godbout. « Il faut que la Loi sur l’équilibre budgétaire soit appliquée et que des cibles à long terme de la dette de la province aient été établies », illustre le titulaire de la Chaire.
Luc Godbout pense par ailleurs qu’il y aurait moyen de faire mieux que la baisse de 1 % du taux d’imposition des deux premiers échelons de la table d’impôt, comme le propose le gouvernement. « Les écarts d’imposition avec l’Ontario concernent les salaires situés entre 20 et 80 000 $ », explique le professeur, qui précise que cette différence représente 7,5 cents par dollar gagné dans cette tranche de rémunération. « Si le gouvernement veut avoir un impact, c’est là qu’il doit agir », dit-il. « Ce qu’on propose, c’est de garder le point de pourcentage de baisse sur le premier taux, mais de réduire de 1,8 point celui entre le début du deuxième taux du barème jusqu’à 80 000 $. »
L’universitaire voit un avantage additionnel à cette proposition, dans un contexte de rareté de la main-d’oeuvre. « Ça aurait un impact sur l’incitation au travail, puisqu’on réduirait le taux d’imposition là où ça fait le plus mal », dit-il.
* La charge fiscale nette correspond à la somme de l’impôt sur le revenu et des charges sociales payées par un contribuable, moins les transferts gouvernementaux dont il a bénéficié au cours de l’année. Le montant obtenu est mis en proportion du revenu déclaré et exprimé en pourcentage. Au Québec, les charges sociales correspondent aux contributions à l’assurance-emploi, au régime québécois d’assurance parentale (RQAP) et à la Régie des rentes du Québec (RRQ).
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