Les taux d’intérêt resteront élevés longtemps, estime un ex-dirigeant de la Banque du Canada

Jean Boivin (au centre) et Jimmy Jean (à droite) à l’occasion d’une conférence organisée par CFA Montréal, jeudi
Photo fournie par CFA Montréal Jean Boivin (au centre) et Jimmy Jean (à droite) à l’occasion d’une conférence organisée par CFA Montréal, jeudi

Les taux d’intérêt ne reviendront pas à leur niveau prépandémique de sitôt, préviennent des experts. Même si le risque d’une récession plane sur l’économie canadienne, la Banque du Canada n’assouplira pas sa politique monétaire d’ici « très longtemps », estime un ancien dirigeant de l’institution.

La pause dans la remontée du taux directeur annoncée par la Banque du Canada « n’est pas le début d’un cycle d’assouplissement », a indiqué Jean Boivin, directeur général du BlackRock Investment Institute, à l’occasion d’une conférence organisée par CFA Montréal jeudi.

Devant un parterre de gens d’affaires, l’ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada a souligné que l’institution « ne sera pas en mesure de faire cet assouplissement d’ici très longtemps », à son avis.

Entre prendre le risque de générer une récession et celui de perdre la maîtrise de l’inflation (et ainsi, leur crédibilité), « je pense que c’est un no brainer pour l’ensemble des banquiers centraux : ils vont choisir la récession » pour ramener l’inflation à 2 %, a indiqué M. Boivin.

Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège au Mouvement Desjardins, lui aussi panéliste à la conférence, a également souligné que les taux d’intérêt prendraient du temps à redescendre — une tendance qui contraste avec les 15 dernières années, où la politique monétaire a été « tantôt accommodante, tantôt extrêmement accommodante ».


 

« Il va y avoir une baisse, mais contrairement à ce qu’on voit d’habitude en récession, elle va être très mesurée et très lente », soutient M. Jean. L’économiste croit que le taux directeur pourrait converger vers 2,5 % d’ici la fin de l’année 2024 et se maintenir ensuite à ce niveau. Dans le cas d’une récession forte, « comme dans les années 1990, là, on pourrait penser que l’inflation descendrait peut-être en bas de la cible, et là alors les banques centrales pourraient réduire [les taux] un peu plus rapidement », a-t-il par ailleurs précisé.

Une situation inhabituelle

« Ce n’est pas du tout une récession typique à laquelle on fait face », indique Jean Boivin, qui souligne que l’environnement économique a radicalement changé depuis la pandémie.

« Il y a eu une rupture avec les 40 dernières années — une période qui était dominée par des chocs qui venaient principalement des fluctuations de la demande, telles que les dépenses des consommateurs, les investissements des entreprises, autour d’une capacité de production qui était assez stable, explique-t-il. Depuis 2020, ça a changé de façon radicale. Maintenant, on est dans un environnement limité, déterminé par l’offre, par les contraintes de production. »

Je pense que c’est un « no brainer » pour l’ensemble des banquiers centraux : ils vont choisir la récession

 

Dans ce contexte, le directeur général du BlackRock Investment Institute estime que les outils utilisés pour régler les récessions du passé ne seront pas adaptés à celle qui nous attend. « On pense que les banques centrales ne seront pas en mesure de couper les taux. On pense que l’inflation ne sera pas aussi basse que les marchés l’anticipent présentement. »

Mais si l’environnement économique a changé, les banques centrales pourraient-elles revoir leur cible d’inflation ? « S’il y a un changement de cible, ce sera seulement une fois qu’elles auront stabilisé l’inflation à 2 % pendant un certain temps, qu’elles vont avoir démontré qu’elles sont capables de le faire, et alors là, peut-être que la porte va être ouverte à se dire “Est-ce que c’est vraiment la bonne cible ?”. Mais d’ici là, ce n’est clairement pas dans les cartes », ajoute M. Boivin.

D’ailleurs, s’il y a bel et bien un tournant à la baisse qui s’opère depuis quelques mois sur le plan de l’inflation, on aurait tort d’y voir une ligne directe vers une inflation à 2 %, de l’avis de l’expert, qui croit plutôt que la route vers cette cible pourrait être sinueuse.

L’inflation annuelle au Canada a poursuivi sa lente diminution en décembre dernier, pour s’établir à 6,3 %. Elle avait culminé à 8,1 % au cours de l’été dernier.

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