Le temps est venu de taxer les riches, déclare Oxfam

La plupart des hommes les plus riches de la planète paient peu d’impôt, comme Jeff Bezos, dont le taux d’imposition serait inférieur à 1 %.
John Locher Archives associated press La plupart des hommes les plus riches de la planète paient peu d’impôt, comme Jeff Bezos, dont le taux d’imposition serait inférieur à 1 %.

Encore aux prises avec la pandémie, l’humanité doit aussi faire face à une envolée du coût de la vie, un climat de plus en plus déréglé et un creusement des inégalités. Pendant ce temps, le 1 % des plus riches a accaparé, depuis 2020, deux fois plus de richesses que les 99 % restants. « Il est temps de taxer les riches », conclut Oxfam. Pas seulement pour les mettre plus à contribution, mais pour en faire disparaître.

« Alors que les gens ordinaires font des sacrifices tous les jours sur des produits de base, les ultrariches s’enrichissent à un rythme insensé », a déclaré la semaine dernière Léa Pelletier-Marcotte, analyste politique à Oxfam-Québec, en prévision du lancement, lundi, d’un rapport d’une cinquantaine de pages intitulé La loi du plus riche. « Taxer les ultrariches et les profits exorbitants des grandes entreprises est une solution réaliste et nécessaire. Il faut cesser de croire que la prospérité des plus fortunés ruisselle sur le reste de la population. C’est un mythe, ça ne fonctionne tout simplement pas. »

Depuis dix ans, le 1 % des plus riches sur la planète s’est approprié plus de la moitié de toute la nouvelle richesse produite, rapporte l’ONG dans le portrait des inégalités qu’elle met à jour chaque année à la veille de la tenue du Forum économique mondial, le fameux rendez-vous des gens riches et influents à Davos, en Suisse. Cette tendance s’est accélérée depuis 2020, le 1 % s’emparant désormais des deux tiers de la nouvelle richesse mondiale produite, soit six fois plus que la part qui est revenue aux 90 % des plus pauvres. Autrement dit, pour chaque dollar de nouvelle richesse mondiale qui allait dans la poche de neuf humains sur dix, un milliardaire gagnait 1,7 million.

Les finances des grandes multinationales se portent bien aussi. Selon des études, la dernière envolée de l’inflation n’est pas principalement attribuable à un problème d’offre et de demande, mais est plutôt le résultat à 54 % (aux États-Unis), 59 % (au Royaume-Uni) et même 83 % (en Espagne) de la décision des entreprises d’en profiter pour augmenter leurs marges de profit. L’an dernier, 95 grandes compagnies de l’alimentation et de l’énergie ont ainsi doublé leurs profits et reversé 84 % des sommes accumulées (257 milliards de dollars américains) à leurs actionnaires, a calculé Oxfam.

Au Canada aussi

 

Le Canada n’est pas à l’abri de ces tendances, ajoute Oxfam-Québec. Pour chaque 100 $ de richesse créée au cours des dix dernières années, 34 $ sont allés dans les poches du 1 % des plus riches, tandis que 5 $ ont été répartis entre les Canadiens appartenant à la moitié la plus pauvre. Du début de la pandémie de COVID-19 à novembre dernier seulement, les milliardaires canadiens ont vu leur richesse croître de 51 %. Bien qu’ils ne représentent que 0,02 % de la population, les Canadiens qui ont plus 50 millions de dollars d’actifs détiennent ainsi à eux seuls deux fois plus de richesse que la moitié des Canadiens les plus pauvres.

De l’autre côté, les ultrariches et les grandes entreprises sont de moins en moins amenés à apporter leur contribution lorsque vient le temps de répartir la richesse et d’en consacrer une partie aux grandes missions collectives d’éducation, de soins de santé, de développement et d’entretien des infrastructures publiques ou encore d’aide aux plus démunis.

Depuis 1980, les taux d’impôt qui s’appliquent aux revenus des plus riches, à leurs fortunes et aux profits des entreprises ont tous baissé. Pour chaque dollar collecté en impôts, seulement 4 ¢ viennent d’impôt sur le patrimoine des plus riches. De toute façon, la moitié des milliardaires du monde vivent dans des pays qui ne perçoivent pas ce genre de taxe. Cela mène à des situations où bon nombre des hommes les plus riches de la planète ne paient presque pas d’impôt, à l’instar du multimilliardaire Elon Musk, dont le taux d’imposition réel ne serait que de 3,2 %, ou de son compère Jeff Bezos, dont le taux serait même inférieur à 1 %.

Dans ces circonstances, une augmentation de l’impôt des personnes riches et des entreprises est « l’un des outils les plus stratégiques » pour lutter contre les inégalités et combattre l’accumulation de crises diverses (polycrises), estime Oxfam.

Faire disparaître la richesse extrême

 

L’ONG propose notamment d’instaurer un « impôt exceptionnel de solidarité » sur la fortune et une taxe « sur les bénéfices exceptionnels » pour mettre un terme à cette accélération de l’enrichissement en pleine crise. On en appelle aussi à un taux marginal d’impôt d’au moins 60 % sur les revenus (contre une moyenne de 31 % aujourd’hui) et les gains en capital (seulement 18 % aujourd’hui) du 1 % des plus riches, ce qui serait un retour à ce qui a déjà été la norme au siècle dernier. Ce taux devrait être porté à 75 %, ou plus haut encore, pour les « superriches » pour décourager les salaires extravagants versés à certains dirigeants d’entreprises.

50 milliards

C’est la somme qui pourrait être amassée si un impôt supplémentaire de 2 % pour les millionnaires, de 3 % pour ceux qui possèdent plus 50 millions de patrimoine et de 5 % pour les milliardaires était mis en place au Canada.

Au Canada, un impôt supplémentaire de 2 % pour les millionnaires, de 3 % pour ceux qui possèdent plus 50 millions de patrimoine et de 5 % pour les milliardaires permettrait d’amasser près de 50 milliards annuellement qui pourraient servir à augmenter de moitié les dépenses en éducation et à hausser de 800 % le budget canadien de l’aide publique au développement. Le même genre d’impôt au niveau mondial rapporterait 1700 milliards de dollars américains par an, soit assez pour sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté.

Mais il ne s’agit pas seulement d’aller chercher de nouvelles sources de revenus dans les poches des plus riches et de réduire les inégalités. Il s’agit aussi de réduire « directement le nombre de personnes fortunées et leurs richesses, créant ainsi des sociétés plus égalitaires et empêchant l’émergence d’élites puissantes, incontrôlées et semi-aristocratiques », dit le rapport d’Oxfam.

Parce que, « les concentrations extrêmes de richesse sapent la croissance économique, corrompent la sphère politique et les médias, fragilisent la démocratie et favorisent la polarisation politique ». En fait, « chaque milliardaire est un échec politique »



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