«La première crise énergétique véritablement mondiale»

Avec cette « première crise énergétique véritablement mondiale », les prix du gaz naturel et de l’électricité ont atteint des sommets en Europe.
Photo: Agence France-Presse Avec cette « première crise énergétique véritablement mondiale », les prix du gaz naturel et de l’électricité ont atteint des sommets en Europe.

Retour sur les répercussions de l’invasion russe en Ukraine, qui a marqué le monde en 2022.

Le 8 novembre 2011, une poignée de radieux leaders européens, dont Angela Merkel et Dimitri Medvedev, ont tourné une grande valve pour symboliquement ouvrir le flot de gaz naturel dans le tuyau nommé Nord Stream, qui file sur 1200 km sous la mer Baltique, de la Russie à l’Allemagne. Une décennie plus tard, les sourires se sont effacés et le courant ne passe plus.

On l’a dit mille fois cette année : l’Europe paye le prix de sa dépendance au gaz russe. En 2021, le continent importait 40 % de son gaz naturel du pays de Vladimir Poutine. En quelques mois, les alliés de l’Ukraine ont dû chercher par tous les moyens à réduire leurs importations. Conséquence naturelle sur les marchés, les prix du gaz naturel et de l’électricité ont atteint des sommets inédits.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Au menu cet hiver, la sobriété énergétique. Les lumières de la tour Eiffel s’éteignent un peu plus tôt le soir. La Suisse songe à interdire la recharge des véhicules électriques dans certaines circonstances. La Finlande demande de baisser la température des saunas. Pour les ménages moins nantis, la crise prend une tournure plus sombre. Au Royaume-Uni, des gens sont descendus dans les rues pour dénoncer des tarifs de gaz et d’électricité qui les tiennent à la gorge.

La crise frappe partout en Europe, car les marchés énergétiques ne connaissent pas de frontières. « Dès la fin des années 1990, l’Union européenne [UE] a poussé pour libéraliser le marché de l’électricité, puis celui du gaz », rappelle Maya Jegen, politologue de l’Université du Québec à Montréal, spécialiste de l’énergie. Lundi dernier, après de longues négociations, l’UE a partiellement fait marche arrière : elle a instauré un mécanisme de plafonnement des prix du gaz naturel.

Bien que l’Europe ait réussi à remplir ses réservoirs de gaz naturel l’automne dernier, les craintes au sujet de l’hiver qui s’amorce ne sont pas dissipées pour autant. La consommation dépendra beaucoup de la météo. En outre, les livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL), essentielles selon les plans actuels, devront arriver à temps. Après des travaux réalisés dans l’urgence, l’Allemagne s’apprête à inaugurer des terminaux maritimes de GNL pour recevoir de premiers méthaniers dès janvier.

C’est une tendance lourde accélérée par la guerre en Ukraine : le gaz naturel devient un produit négocié sur la place commerciale mondiale. Des projets internationaux de gazoduc sont en branle en Europe et sur sa périphérie, notamment en mer du Nord et depuis l’Azerbaïdjan. Mais, surtout, cette ressource volatile se libère de ses tuyaux et, sous forme liquéfiée, traverse les continents pour se vendre aux plus offrants.

Avec ses rutilants euros, le Vieux Continent achète ainsi du GNL en provenance du Qatar ou des États-Unis que d’autres pays moins nantis ne pourront plus se procurer. « Le gâteau ne devient pas nécessairement plus gros », explique Mme Jegen. Et maintenant que la Chine s’extirpe de sa politique zéro COVID, plusieurs observateurs pensent que son rebond économique pourrait entraîner une demande accrue en énergie.

Pour éviter de laisser leurs populations grelotter, les gouvernements européens sont forcés de faire marche arrière sur leurs visées écologistes, du moins dans l’immédiat. Berlin a ainsi repoussé la retraite de ses dernières centrales nucléaires. Au chapitre des énergies fossiles, Paris a dû rouvrir une centrale au charbon qui avait mis la clé sous la porte. Similairement, Amsterdam s’est résolue à lever un plafond sur l’utilisation de charbon.

Tout espoir pour le climat n’est pas perdu pour autant. « La première crise énergétique véritablement mondiale, déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, a donné un élan sans précédent aux énergies renouvelables », note l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un récent rapport. L’organisation prévoit que la croissance des énergies renouvelables dans le monde d’ici 2027 sera « bien plus rapide que ce qui était prévu il y a un an ».

Jusqu’à récemment, l’opposition des communautés locales aux projets éoliens ou solaires dans leur cour posait un obstacle important au développement des énergies renouvelables en Europe, souligne Mme Jegen. En conséquence à la guerre, des pays allègent maintenant leurs régimes réglementaires en la matière. « On parle tellement de la crise énergétique, de la difficulté à passer l’hiver, que peut-être les gens seront davantage prêts à accepter les infrastructures d’énergie renouvelable. »

Rendez-vous dans une décennie pour évaluer l’effet de la guerre en Ukraine sur la trajectoire énergétique de l’Europe et du monde.



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