Levée de boucliers pour protéger une fruiterie de Villeray

Les résidents de Villeray se portent à la défense de la fruiterie Tsikinis, qu’ils considèrent comme une institution du quartier, alors que son avenir est incertain. Le propriétaire du local commercial qu’elle occupe, qui est actionnaire d’une nouvelle fruiterie voisine, souhaite pratiquement doubler son loyer.
Lorsqu’elle a vu passer sur Instagram la publication d’un particulier affirmant que sa fruiterie préférée allait fermer, Élise Dubuc a été prise d’inquiétude. Pour en savoir plus, elle a publié un message sur un groupe Facebook de quartier. « Quelqu’un aurait-il de l’information à ce sujet ? » a-t-elle demandé.
Son interrogation a recueilli 120 commentaires. Certains citoyens ont fait des recherches et ont révélé que Holding Rubino, qui détient en partie depuis quelques mois le bâtiment dans lequel se trouve Tsikinis, est le deuxième actionnaire de Fraîchement bon. Il s’agit d’une petite chaîne de quatre épiceries montréalaises, au style plus moderne et épuré, qui a ouvert une succursale environ un coin de rue plus loin sur la rue Jarry.
Certains citoyens ont fait un appel au boycottage de Fraîchement bon, l’accusant de pratiques déloyales. Le commerce a reçu en quelques heures un déluge d’avis négatifs sur Google. Un groupe Facebook « Sauvons Tsikinis » a recueilli l’adhésion de 143 membres.
Zachary T. Gauthier a, pour sa part, envoyé une lettre aux élus municipaux et au député de la circonscription dans l’espoir qu’ils puissent adopter des mesures pour protéger les commerçants.
« Je vais à cette fruiterie depuis que je suis tout petit. C’est un lieu privilégié pour moi », a expliqué M. Gauthier en entrevue.
Encore de l’espoir
Le propriétaire de la fruiterie Tsikinis a indiqué que tout n’était pas encore joué. Mardi, il n’a pas voulu donner d’entrevue, se disant toujours en négociation au sujet de son loyer.
Le président de Holding Rubino, Gerardo Rubino, a confirmé que son entreprise, en collaboration avec la compagnie de gestion MTRPL, avait demandé une hausse de loyer à Tsikinis.
« Elle paie environ 3000 $ par mois. Si on regarde les prix actuels, elle devrait payer entre 5000 $ et 6000 $ », a-t-il déclaré.
Il assure n’avoir jamais eu l’intention d’évincer la fruiterie de quartier, puisqu’il a « tout intérêt à avoir des locataires » et qu’il n’a pas prévu de remplaçant.
« Avec l’explosion des taxes, des assurances, les taux d’intérêt immondes, on n’a pas le choix d’avoir un taux de location au niveau du marché », a ajouté M. Rubino. Des hausses de loyers ont également été conclues avec deux restaurants se trouvant dans le même bâtiment. Il affirme que Fraîchement bon, qui est aussi son locataire, paie déjà un loyer considéré comme étant au prix du marché, soit environ 13 000 $ par mois pour environ deux fois la superficie du Tsikinis.
Lorsqu’il a eu vent d’un tollé dans l’opinion publique, M. Rubino dit avoir appelé MTRPL en panique pour savoir pourquoi les pourparlers avec Tsikinis n’avaient toujours pas porté fruit. Il affirme que les gestionnaires sont allés rencontrer le propriétaire de la fruiterie mardi.
De la place pour plusieurs fruiteries
Par-dessus tout, M. Rubino a voulu mettre au clair que Fraîchement bon, dirigé par son beau-frère François-Karl Viau, n’a rien à voir dans cette histoire. C’est aussi ce qu’a indiqué M. Viau.
« J’ai vu sur les réseaux sociaux que des personnes nous [interpellaient] en disant qu’on avait acheté le bâtiment en face pour monter les loyers et éliminer la concurrence. Mais je n’ai pas d’intérêt dans le volet immobilier. Je ne veux pas que les gens pensent qu’on a des pratiques comme ça », a-t-il souligné.
Selon M. Viau, il y a de la place dans le quartier pour plusieurs fruiteries, qui n’ont pas nécessairement la même clientèle.
Qu’est-ce qui explique que cet épisode ait autant soulevé les passions ? Il semble y avoir, d’une part, la crainte que la gentrification de Villeray entraîne la disparition de commerces pionniers. « Les propriétaires connaissent tout le monde, ils nous nomment par nos noms. Ils contribuent au sentiment d’appartenance au quartier », affirme Chrissy Diavatopoulos, une résidente mobilisée.
Au-delà de cet attachement, le contexte d’inflation fait en sorte que les gens craignent qu’une hausse des loyers des épiceries puisse entraîner une augmentation des prix des aliments, avance Élise Dubuc. Or, Tsikinis est réputé pour offrir des prix doux à ses clients.
La conseillère de ville pour Villeray, Martine Musau Muele, indique qu’elle est régulièrement interpellée par des citoyens préoccupés par le développement commercial de leur quartier. “Les gens veulent avoir des offres locales intéressantes et souhaitent que les commerces auxquels ils sont attachés restent dans leurs quartiers. De l’autre côté, on est interpellé par de nombreux entrepreneurs commerçants qui veulent s’établir dans des quartiers vivants comme Villeray”, a-t-elle expliqué.
La conseillère n’a pas souhaité commenter le cas précis de la fruiterie Tsikinis. Mme Musau Muele a rappelé que l’encadrement des loyers commerciaux ne relève pas des compétences municipales.