Des dizaines de millions engouffrés dans Hilo

Depuis la création d’Hilo, une filiale d’Hydro-Québec vouée à l’économie d’énergie, la société d’État y a injecté au moins 30 millions de dollars, selon les estimations du Devoir. Malgré ces investissements notables, la filiale indépendante est encore loin d’atteindre ses objectifs. Sa maison mère confirme maintenant son rapatriement partiel au sein d’Hydro-Québec, deux mois après avoir remercié son directeur.

Pour relever les défis de la transition énergétique, Hydro-Québec tente par tous les moyens de modifier les habitudes de ses consommateurs. Lors des grands froids, on propose aux quelque 20 000 abonnés d’Hilo équipés de thermostats intelligents de baisser leur chauffage. Les clients qui acceptent ces « défis » obtiennent des crédits sur leur facture.

Or, Hilo coûte cher. Par kilowatt, il s’agit du moyen de gestion de la demande hivernale le plus onéreux dans la boîte à outils d’Hydro-Québec. L’installation des thermostats par des électriciens, l’achat des appareils, les salaires des 150 employés de la filiale, les bureaux et les compensations versées aux abonnés représentent des coûts considérables, épongés par l’ensemble de la société publique.

10 MW
C'est la quantité moyenne d'énergie qu'a libérée Hilo lors des pointes de l'hiver dernier, alors que les attentes d'Hydro-Québec s'élevaient à 28 MW.

Puisqu’Hilo est une filiale indépendante, Hydro-Québec refuse de divulguer les pertes associées à ce projet de style start-up lancé en 2019. Elle fait valoir que ces informations sont stratégiques et concurrentielles. Le Devoir a donc estimé les différentes dépenses de manière très conservatrice : salaires de 25 $/h, frais d’installations de 300 $, thermostats à 40 $, etc. La somme de ces différents éléments avoisine les 30 millions de dollars.

Informé de ces estimations, Éric Filion, vice-président chez Hydro-Québec et président du conseil d’administration d’Hilo, confirme au Devoir que ce sont bien « des dizaines de millions » de dollars qui ont été injectés dans la filiale depuis sa création.

18 %
C’est le pourcentage de Québécois qui ont un thermostat connecté.

Selon M. Filion, les investissements dans Hilo permettent de réduire les montants destinés au développement du réseau électrique et à la production d’un volume similaire d’énergie. Depuis cet automne, la mission de la filiale s’articule d’ailleurs spécifiquement autour des besoins d’Hydro-Québec. « Hilo nous aide à équilibrer l’offre et la demande en électricité. Ce n’est pas un objectif de croissance et de génération de revenus, mais il s’agit plutôt de répondre au besoin du réseau en impliquant nos clients », résume-t-il.

Reste qu’en trois ans d’existence, la filiale n’a toujours pas atteint ses objectifs. Selon des documents internes obtenus par Le Devoir, Hilo n’a libéré en moyenne que 10 mégawatts (MW) de puissance lors des pointes l’hiver dernier, alors que les attentes de sa société mère s’élevaient à 28 MW. Et Hydro-Québec cultive de grandes ambitions pour sa filiale, estimant qu’elle permettrait de dégager plus de 600 MW de puissance en période de pointe dès 2029.

15 %
C’est la part du marché occupé par Hilo.

« Cet hiver, notre objectif, c’est de libérer 47 MW grâce à Hilo, assure M. Filion. Et on va atteindre l’objectif. Et on est sûrs qu’on va atteindre les 95 MW l’an prochain », ajoute-t-il. Hilo compte pour l’instant 19 200 clients.

Pour donner le coup de barre nécessaire à l’organisation, Hydro-Québec a repris le contrôle d’Hilo cet automne. Après avoir remercié le directeur général de la filiale, Sébastien Fournier, la société d’État s’est mise aux commandes de son conseil d’administration en y nommant ses vice-présidents. C’est la directrice Planification commerciale et Intelligence client chez Hydro-Québec, Martine Fillion, qui assure la direction d’Hilo.

La société d’État confirme maintenant au Devoir le rapatriement partiel de la filiale. « On peut aller chercher une plus grande synergie entre les deux organisations. C’est sûr qu’il y a des doublons avec certaines activités chez Hydro-Québec », dit M. Fillion, citant en exemple le marketing, la commercialisation et les opérations.

Hilo nous aide à équilibrer l'offre et la demande en électricité. Ce n'est pas un objectif de croissance et de génération de revenus.

 

La filiale restera autonome sur le plan du développement technologique. « Hilo va rester notre bras technologique pour toute l’innovation qui se fait au-delà du compteur. On est très actif sur le plan résidentiel, mais on a aussi commencé depuis cet été à déployer nos technologies pour les volets affaires », dit-il.

La réorganisation d’Hilo s’inscrit dans une plus vaste restructuration de la société d’État. Début 2022, Hydro-Québec a intégré au sein d’une même entité les trois grandes divisions — distribution, production et transport — qui évoluaient jusqu’alors indépendamment l’une de l’autre.

Le « bras technologique » s’ouvrira toutefois bientôt aux écosystèmes de maisons intelligentes branchées à d’autres systèmes de thermostats. « On veut avoir des partenaires qui vont déployer leurs objets connectés, et nous, on veut offrir l’interface avec ces objets. On ne veut pas nécessairement être l’entité qui vend ces technologies », explique M. Fillion.

98 %
C’est la proportion des clients de Hilo qui relèvent les défis énergétiques proposés par l’entreprise. (Source : Hydro-Québec)

Hydro-Québec tente désormais d’établir des partenariats avec des entreprises québécoises — dont Sinopé, avec qui la société est en discussion —, mais aussi avec de « gros joueurs » comme Google Nest. « Pour travailler avec eux, ça nous prend tout d’abord une entente commerciale, mais aussi on doit faire du développement pour que la technologie Hilo soit compatible avec leurs objets connectés. »

En octobre, la filiale a conclu une entente avec le fabricant de thermostats terre-neuvien Mysa, dont les technologies seront disponibles une fois compatibles avec le système d’Hilo, soit l’an prochain. Issue d’une entente entre Stelpro et Hydro-Québec, la filiale veut s’ouvrir davantage aux technologies de différents fournisseurs. Le but : rejoindre plus de clients. « Le plus important, c’est d’accélérer notre déploiement », note M. Fillion.

À voir en vidéo