Avoir vingt ans et s’inquiéter de l’avenir

Odile Diotte, 21 ans, assure ne pas s’en faire outre mesure avec tous ces défis qui attendent sa génération. « Je ne suis pas pessimiste. »
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Odile Diotte, 21 ans, assure ne pas s’en faire outre mesure avec tous ces défis qui attendent sa génération. « Je ne suis pas pessimiste. »

Avoir la vingtaine, c’est à la fois grisant et stressant. On boucle ses études, on entame sa carrière, on se cherche un toit et on songe à l’avenir… Mais ce n’est pas évident quand le coût de la vie explose, le prix des maisons s’envole et le climat se dérègle, comme en ce moment. Est-ce que c’était plus facile avoir le même âge au début des années 1980 ? Regards croisés des jeunes d’aujourd’hui et de ceux d’hier sur les tourments du début de l’âge adulte, quand la morosité économique frappe. Dernier texte d’une série de cinq.

Être jeune, c’est avoir l’avenir devant soi. Mais ce dernier peut être incertain et même inquiétant.

À l’origine, Odile Diotte, 21 ans, pensait déménager de Sherbrooke à Montréal pour entreprendre des études universitaires en sociologie. Mais devant la désespérante lenteur du monde à se montrer à la hauteur du défi existentiel posé par le réchauffement climatique, elle a changé d’avis. Elle est bien venue s’installer dans la métropole cet été, mais pour y suivre une formation technique d’un an en horticulture urbaine. On verra après.

« Comme on ne sait pas trop quand le système va “crasher”, je me suis dit que plutôt que d’aller m’enfermer dans une université durant toutes ces années, j’allais apprendre, pendant un an, à me reconnecter avec la terre, puis vivre les expériences que j’ai à vivre, explique-t-elle. Je ressentais comme une urgence d’avoir un diplôme le plus rapidement possible pour commencer ma vie professionnelle le plus vite possible, pendant qu’il en est encore temps. »

Odile Diotte se défend bien de céder à une panique irrationnelle. « Cela peut sembler un peu alarmiste, mais je connais beaucoup de gens qui se sentent comme ça. Les gens de la génération de mes parents faisaient des plans à long terme. Ils prenaient le temps de faire des études et de s’occuper de leur carrière en se disant qu’au pire, ils se reprendraient à la retraite. Mais nous, on ne sait pas ce qui va arriver. »

Mis à part le contexte économique, qui était très difficile dans les années 1980, Ann-Marie Gagné ne se souvient pas d’avoir été habitée, au même âge, par le même type d’angoisse face à l’avenir que les jeunes d’aujourd’hui. « Je dirais qu’on était quand même plutôt insouciants. Il y avait le débat sur l’indépendance du Québec… Mais on n’était pas aussi conscients de tout ce qui se passait dans le monde », raconte la femme, qui avait 22 ans lors du premier référendum sur la souveraineté, en 1980.

La présence d’héritages va, dans les années à venir, contribuer à l’augmentation des inégalités

 

« Aujourd’hui, avec les moyens de communication et les réseaux sociaux, les jeunes sont beaucoup plus ouverts sur le monde. Je pense qu’ils sont aussi plus impliqués socialement », indique-t-elle.

Une autre sorte de fin du monde

S’il n’était pas encore question de bouleversements climatiques ni d’écoanxiété dans les années 1980, le monde n’en était pas moins aux prises avec des menaces existentielles, notamment celle d’une guerre nucléaire. L’escalade de la tension entre les blocs occidental et soviétique et la reprise de leur course aux armements amèneront même, au début de la décennie, les scientifiques à l’origine de « l’horloge de l’apocalypse » à avancer ses aiguilles plus près de l’heure de la fin du monde qu’on ne l’avait vu depuis l’invention de la bombe à hydrogène, dans les années 1950.

Le climat anxiogène s’imprime dans la culture populaire. L’Office national du film remporte en 1982 un Oscar pour un documentaire qui décrit l’ampleur de la menace (Si cette planète vous tient à coeur). Le téléfilm Le jour d’après (The Day After), qui raconte les conséquences d’une guerre nucléaire, fait exploser les cotes d’écoute de la télévision américaine l’année suivante. Dans sa chanson Russians, le Britannique Sting dit espérer que « les Russes aussi aiment leurs enfants ». Sa compatriote Kate Bush s’imagine en train de respirer des retombées radioactives (Breathing). Les groupes Pink Floyd (Two Suns in the Sunset), Nena (99 Luftballons) et Alphaville (Forever Young) font aussi partie du lot, pour ne nommer que ceux-là. Même le chanteur Daniel Lavoie parle des « enfants de la bombe » (Ils s’aiment).

Cette peur laisse des traces, notamment sur les jeunes. Des psychologues se penchent alors sur les effets de « l’angoisse nucléaire » sur le développement et la personnalité de certains. Tout cela s’atténuera heureusement avec la fin de la guerre froide.

Pas tous égaux

Aujourd’hui, il y a la crise climatique qui est inquiétante, mais pas seulement, souligne Sol’Abraham Castenada Ouellet, 23 ans. L’inégalité des chances est aussi préoccupante, estime celui qui doit composer avec des dettes d’études. « Dans ma classe à l’université, la très grande majorité des gens sont allés dans des écoles privées. On est seulement deux ou trois à être allés au public. Je le vois que je ne viens pas du même milieu et que je n’ai pas bénéficié du même soutien que d’autres », relate l’étudiant en neurosciences.

Certains doivent pédaler deux fois plus fort que les autres pour arriver au même stade, observe-t-il, et ce, même si le Québec est l’une des sociétés les moins inégalitaires, grâce à un fort État-providence.

Ces inégalités s’expriment, par exemple, dans l’accès à la propriété. « Les parents et les grands-parents sont, de nos jours, pour une partie d’entre eux du moins, en mesure d’aider les jeunes à augmenter leur mise de fonds de départ au moment de l’achat d’une propriété », fait remarquer Simon Langlois, professeur émérite en sociologie à l’Université Laval.

« La présence d’héritages va, dans les années à venir, contribuer à l’augmentation des inégalités, car le patrimoine est très inégalement réparti, ajoute l’expert. Une partie des jeunes va pouvoir bénéficier d’une aide financière lorsque ce patrimoine va redescendre vers les générations plus jeunes. [Or], cette situation était exceptionnelle dans les années 1980. »

Les jeunes d’aujourd’hui devront également composer avec une société québécoise vieillissante, rappelle María Eugenia Longo, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique et co-titulaire de la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec. « Au début des années 1980, les jeunes représentaient plus du tiers de la population au Québec. Aujourd’hui, ils sont moins du quart. Non seulement ils occupent moins de place en nombre, mais ils ont aussi un plus gros fardeau intergénérationnel à porter. »

En effet, en 1981, il y avait environ huit Québécois en âge de travailler (15 à 64 ans) pour chaque aîné (65 ans et plus). En 2022, il n’y en avait plus que trois. Et ce nombre devrait encore baisser dans les prochaines années, selon les projections.

Odile Diotte assure ne pas s’en faire outre mesure avec tous ces défis qui attendent sa génération. « Je ne suis pas pessimiste. Il y a quand même de belles choses qui se passent au Québec. »

Elle marque une pause lorsqu’on lui demande de donner un exemple. Puis elle répond : « Il a neigé hier et c’est blanc partout. C’est beau. »


Une version précédente de ce texte, qui qualifiait Maria-Eugenia Longo comme directrice de l’Observatoire Jeunes et société, a été corrigée. Elle ne l'est plus depuis récemment.

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