Avoir vingt ans quand le coût de la vie s’emballe

Sol’Abraham Castaneda Ouellet, 23 ans et étudiant, a lui aussi du mal à joindre les deux bouts ces derniers temps à cause de l’inflation.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Sol’Abraham Castaneda Ouellet, 23 ans et étudiant, a lui aussi du mal à joindre les deux bouts ces derniers temps à cause de l’inflation.

Avoir la vingtaine, c’est à la fois grisant et stressant. On boucle ses études, on entame sa carrière, on se cherche un toit et on songe à l’avenir… Mais ce n’est pas évident quand le coût de la vie explose, le prix des maisons s’envole et le climat se dérègle, comme en ce moment. Est-ce que c’était plus facile avoir le même âge au début des années 1980 ? Regards croisés des jeunes d’aujourd’hui et de ceux d’hier sur les tourments du début de l’âge adulte, quand la morosité économique frappe. Deuxième texte d’une série de cinq.

Odile Diotte vivait déjà en appartement depuis trois ans lorsqu’elle a déménagé l’été dernier de Sherbrooke à Montréal pour entreprendre une formation professionnelle en horticulture urbaine. « Ça va de pire en pire. Je suis de plus en plus serrée dans mon budget d’épicerie, et les loyers sont super chers. Si je n’avais pas l’aide de mes parents, je ne crois pas que j’y arriverais », dit la jeune femme, qui vient d’avoir 21 ans et qui travaille aussi à temps partiel dans un magasin Archambault.

Sol’Abraham Castaneda Ouellet, 23 ans et étudiant, a lui aussi du mal à joindre les deux bouts ces derniers temps à cause de l’inflation. Les factures s’accumulent, constate-t-il. « On en a tellement ! On doit avoir une vingtaine ou une trentaine de paiements mensuels. Et le fait que ces factures soient numériques, ça rend tout cela dématérialisé, alors on les laisse traîner et ça nous rattrape. Ça représente de la gestion et ça cause du stress. »

Odile Diotte se doute bien que les finances des jeunes adultes encore aux études, comme elle, aient probablement été difficiles de tout temps, mais elle croit qu’elles étaient aussi difficiles au début des années 1980. « C’est sûr que les étudiants ont toujours été obligés de manger du Kraft Dinner, mais quand même ! Je ne suis pas une experte en économie, mais j’ai l’impression que ça devait être moins dur pour la génération de nos parents. »

Je suis de plus en plus serrée dans mon budget d’épicerie, et les loyers sont super chers. Si je n’avais pas l’aide de mes parents, je ne crois pas que j’y arriverais.

Une inflation plus élevée qu’aujourd’hui

S’il est vrai que le coût de la vie a grimpé à un rythme infernal depuis la pandémie pour atteindre des niveaux inégalés depuis plusieurs décennies, sa croissance est toutefois loin de se comparer à celle qui a été observée au début des années 1980 — une période également marquée par une très forte inflation.

En décembre 1981, la variation annuelle des prix à la consommation dépassait les 13 % au Québec, contre 8 % au sommet de juin cette année.

Ann-Marie Gagné, originaire de Victoriaville et jeune vingtenaire à l’époque, se souvient de sa jeunesse comme d’un passage plutôt difficile. « Avant de vous parler, je dois vous dire que j’ai fait un petit sondage auprès de quelques-unes de mes amies, pour qu’on se raconte nos souvenirs de la vingtaine », dit-elle d’emblée.

« Le dénominateur commun dans ce que mes amies m’ont dit et ce que je ressentais moi aussi, c’est qu’il y avait une très, très grande insécurité financière, résume-t-elle. Ça n’a probablement pas beaucoup changé. Je ne peux pas me prononcer sur ce que les jeunes vivent aujourd’hui, mais j’ai l’impression que ce n’est pas plus facile aujourd’hui. »

Mais les jeunes semblent se permettre une voiture plus tôt qu’à son époque, croit-elle constater. « Du moins, si je me fie à mes six neveux et nièces, ils avaient tous leur propre auto avant 18 ans », observe-t-elle. Et les jeunes — « Montréalais, du moins » — semblent sortir plus souvent : « Jamais dans notre temps aurions-nous pu penser dépenser autant en restauration ! »

Combler les besoins essentiels

En 1981, un peu plus de la moitié (52 %) de l’ensemble du budget des ménages allait aux dépenses essentielles que sont le logement (20 %), l’alimentation (17 %) et le transport (15 %). La part des dépenses discrétionnaires allait légèrement augmenter par la suite, le logement (22 %), l’alimentation (11 %) et le transport (14 %) ne comptant plus que pour 47 % du budget des ménages en 2021, dernière année complète pour laquelle des données sont disponibles.

Bien sûr, c’était avant que les prix à la consommation ne s’emballent encore plus cette année, notamment dans les épiceries, observe Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), qui a compilé ces statistiques.

Cela ne tient pas compte non plus du fait que le contenu du panier d’épicerie s’est modifié avec le temps et que les ménages consomment probablement moins de viande et plus de légumes qu’il y a 40 ans, par exemple, poursuit-elle.

Et puis, si l’on accepte que les frais de santé, d’éducation, d’habillement et de communication constituent aussi des dépenses essentielles, on constate que la marge de manoeuvre des ménages n’a pas vraiment changé depuis le début des années 1980, une forme ou l’autre de dépenses essentielles équivalant à environ 60 % de leur budget total aux deux époques.

Une autre façon de comparer le pouvoir d’achat des Québécois entre les deux périodes consiste à regarder l’évolution de leur salaire hebdomadaire moyen. Cette donnée connaissait une augmentation constante depuis longtemps lorsqu’elle a atteint, en 1977, 1023 $ par semaine en dollars de 2022. Puis la tendance s’est inversée. En 1982, le salaire hebdomadaire moyen avait ainsi reculé à 986 $, mais n’avait pas encore terminé sa glissade, puisqu’il a descendu jusqu’à un peu moins de 934 $ en 2001, sous l’effet notamment de l’inflation, des crises économiques successives et des pratiques sur le marché du travail.

Heureusement, la situation a pris un autre virage par la suite, le salaire hebdomadaire réel amorçant une remontée graduelle jusqu’à un nouveau sommet de 1149 $ en 2020, après quoi la moyenne fléchira un peu, sous l’effet entre autres de l’inflation. Aujourd’hui, à 1115 $ par semaine, le salaire moyen est 13 % plus élevé que ce qu’il était il y a 40 ans.

Cette augmentation du salaire réel est le résultat d’une économie qui est plus riche et plus productive grâce aux grandes réformes éducatives du tournant des années 1970, explique Pierre Fortin, économiste émérite de l’Université du Québec à Montréal. Mais c’est aussi, en large partie, le reflet des progrès « stratosphériques » réalisés par les femmes sur le marché du travail, à la faveur notamment de la mise en place du réseau public de services de garde et des autres politiques familiales de la seconde moitié des années 1990.

N’empêche que malgré les progrès des dernières décennies, l’inflation est venue plomber le pouvoir d’achat des Québécois dans les derniers mois. Et bon nombre en pâtissent, notamment les jeunes. « Tout est cher. Les budgets sont déjà super serrés. Alors je n’arrive même pas à imaginer ce que ce serait si j’achetais une propriété », se désole Sol’Abraham.

À suivre, dans le troisième volet de notre série : Trouver un toit pour soi



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