Au tour du Canada de s’immiscer entre la Chine et les États-Unis

Le Canada est un pays nord-américain qui a l’avantage de ne pas être les États-Unis. C’est la carte de visite que les entrepreneurs d’ici sont invités à présenter s’ils veulent emboîter le pas au gouvernement fédéral et investir dans d’autres pays d’Asie que la Chine. C’est la recommandation que fait l’ex-p.-d.g. de la Banque Nationale, Louis Vachon, qui connaît bien la région.
« En Asie, comme partout ailleurs dans l’hémisphère sud, les pays cherchent un équilibre entre les puissances que sont la Chine, l’Europe et les États-Unis. C’est l’occasion pour le Canada d’accroître ses relations commerciales en Asie. Nous sommes américains, sans le bagage géopolitique des Américains », résume en entrevue au Devoir le dirigeant québécois maintenant à la retraite.
Une semi-retraite, puisqu’il continue d’occuper son temps en participant à la gestion d’entreprises et d’organismes de divers horizons. Un de ceux-là est le Conseil d’affaires du Canada-ANASE, dont il est devenu coprésident aux côtés de l’ancien premier ministre de la Saskatchewan Brad Wall. Le Conseil prépare l’inauguration officielle de son bureau à Montréal aux alentours de la mi-décembre.
Le Québec inc. répond présent
Les astres s’alignent drôlement bien ces jours-ci pour l’organisme à vocation commerciale, qui existe plus modestement depuis une dizaine d’années. « ANASE », qu’on voit plus souvent sous l’acronyme anglais ASEAN, fait référence à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Elle regroupe une dizaine de pays qui sont au coeur de la nouvelle stratégie indopacifique publiée par la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly.
C’est l’occasion pour le Canada d’accroître ses relations commerciales en Asie. Nous sommes américains, sans le bagage géopolitique des Américains.
L’ouverture d’un bureau à Montréal n’est pas le fruit du hasard. Mine de rien, la présence en Asie du Sud-Est de membres importants du Québec inc. explique les quelque 32 milliards de dollars en échanges commerciaux de 2021 entre les deux partenaires. En 2012, la valeur de ces échanges était de 5 milliards, et ils étaient pratiquement inexistants dix ans plus tôt.
La Banque Nationale est devenue au fil des ans l’employeur canadien le plus important là-bas, avec quelque 7000 employés, principalement situés au Cambodge. Alimentation Couche-Tard, Bombardier, CAE et la Caisse de dépôt et placement du Québec comptent aussi parmi les sociétés québécoises qui ont développé une présence non négligeable en Asie du Sud-Est.
« Selon mon expérience, quand des entreprises comme celles-là investissent là-bas, c’est toujours bien accueilli localement, dit Louis Vachon. Nous pouvons apporter une expertise prisée dans des secteurs comme la finance, l’aéronautique et l’énergie propre. Mais évidemment, il faut être bien représenté sur place, car, comme on dit, loin des yeux, loin du coeur. »
La porte d’entrée du G20
Dans l’ombre de la rencontre du G20 se tenait, les 13 et 14 novembre derniers, également en Indonésie, le B20, une rencontre internationale du milieu des affaires où étaient présents une vingtaine de représentants de l’économie canadienne, dont des représentants du Conseil d’affaires Canada-ANASE.
Le premier ministre Justin Trudeau est passé en coup de vent à l’événement. Sa visite a été juste assez longue pour qu’il puisse annoncer sa volonté d’investir 750 millions de dollars sur dix ans pour renforcer les liens commerciaux entre le Canada et la région indopacifique et pour « accroître la portée et l’impact du secteur privé canadien » dans la région.
« Nous établissons présentement de nouveaux partenariats pour aider les entreprises canadiennes à prendre de l’expansion et à accéder aux réseaux d’affaires de la région », a indiqué Justin Trudeau en conférence de presse. Dans la foulée, les gouvernements du Canada et de l’Inde ont annoncé la conclusion d’un accord élargi qui autorisera un nombre illimité de vols entre les deux pays. La limite était auparavant de 35 vols par semaine.
Ottawa espère tisser des liens commerciaux qui cimenteront sa nouvelle stratégie politique pour la région indopacifique. En somme, l’objectif est de créer des alliances régionales avec d’autres partenaires que la Chine sans froisser le géant autocratique, car cela pourrait constituer un levier plus important dans les relations Canada-Chine advenant d’autres conflits comme ceux apparus ces derniers mois entre les deux pays.
Le cas de la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, et, plus récemment, celui de l’espion chinois découvert au sein d’Hydro-Québec sont deux exemples de la difficulté pour le Canada de développer des relations avec la Chine.
Des difficultés qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain, si elles disparaissent un jour, croit Louis Vachon. « La question de l’espionnage industriel est délicate partout, mais la Chine est particulièrement féroce là-dessus », dit-il. « La nouvelle politique d’Ottawa a pris du temps à voir le jour, mais elle semble être la bonne. Le Canada a une place à prendre en Asie », au risque de froisser un peu la Chine, conclut l’homme d’affaires.