Un an et 20 000 $ de plus pour son véhicule neuf
L’industrie automobile est en route pour produire 3,6 millions de véhicules de moins que prévu en 2022. Bien des acheteurs ne recevront pas celui qu’ils ont commandé. Pis encore : ils devront parfois verser quelques milliers de dollars de plus s’ils comptent toujours acheter le même véhicule au cours des prochains mois.
Depuis environ un an, l’Association pour la protection des automobilistes (APA) dénombre des « centaines de cas » d’acheteurs qui ont inscrit leur nom sur la liste d’attente de leur concessionnaire, lui confiant même un acompte pouvant atteindre 1000 $, et qui se retrouvent ces jours-ci le bec dans l’eau. Les constructeurs produisent des véhicules pour l’année 2023. Les réservations pour les 2022 ne tiennent plus la route.
« Nous recevons des appels tous les jours de gens qui se font dire qu’ils devront payer des centaines de dollars de plus pour avoir leur véhicule », dit Me Hubert Lamontagne, conseiller juridique pour l’APA. « Le problème, c’est qu’ils n’ont pas trop le choix de payer. Ils sont placés devant un fait accompli : s’ils refusent de payer plus maintenant, ils devront payer encore davantage plus tard. »
C’est ce risque de devoir payer encore plus qu’il ne l’a fait sur-le-champ qui a convaincu Elliot (nous utilisons un prénom fictif pour protéger l’identité de l’acheteur qui envisage une action judiciaire contre le vendeur) de débourser environ 20 000 $ de plus que prévu pour un Ram ProMaster 2023. À l’automne 2021, l’amateur de plein air de Montréal a entrepris le projet de transformer ce petit fourgon en un véhicule récréatif qui lui permettrait de s’évader de la ville.
En vertu d’une entente entre la Fédération québécoise de camping et de caravaning (FQCC) donnant accès à ses membres aux prix de gros de Fiat Chrysler Canada (aujourd’hui Stellantis Canada), il bénéficiait d’un prix réduit de 7150 $ par le fabricant. Le prix de vente entendu s’établissait à ce moment à 46 000 $.
Le véhicule n’a jamais été livré. Les ProMaster 2021 et 2022 ont tous été écoulés, et le vendeur a finalement proposé à Elliot un modèle 2023. Entre-temps, le prix proposé a changé. Entre autres nouveaux frais, la nouvelle version du véhicule coûte au bas mot 7000 $ de plus. En outre, l’entente entre Stellantis Canada et la FQCC a été revue en 2022, et le rabais a été abaissé à 850 $. La facture totale était de 20 000 $ supérieure au prix initialement entendu.
« Rendu là, quels sont mes recours ? » s’interroge l’acheteur en entrevue au Devoir. « Le vendeur m’a signifié que, si je n’acceptais pas, il trouverait un autre client. » Sur conseil de l’APA, il a acheté le véhicule au prix demandé puis il a fait inscrire sur le contrat de vente qu’il compte le contester, probablement devant la cour des petites créances, même si la limite des plaintes y est de 15 000 $.
« Je pourrai au moins récupérer ces 15 000 dollars-là », dit-il en soupirant.
Vers une action collective ?
Au Québec, la Loi sur la protection du consommateur est claire là-dessus : l’acheteur devrait être en droit d’obtenir le prix entendu au départ. Les constructeurs s’en moquent, malgré l’intervention de l’Office de la protection du consommateur. Celui-ci a dû rappeler au courant de l’été les droits des consommateurs et les obligations des commerçants.
« Bien que les droits des consommateurs soient généralement établis dans la loi, la présence dans certains contrats de clauses abusives ou illégales peut conduire à des litiges », a rappelé l’organisme provincial. Il précise que, même si le consommateur peut la plupart du temps se dédire de sa réservation, « le commerçant, par contre, est tenu de respecter l’entente. S’il ne livre pas dans le délai promis ou s’il propose un véhicule différent, le consommateur peut lui réclamer des dommages ».
Comme depuis deux ans personne dans l’industrie n’a pu prédire exactement combien de véhicules allaient être produits puis mis en marché au Canada, aucun constructeur ne respecte la loi dans cette affaire, dit l’APA, à l’exception de Tesla, qui établit ses prix d’une façon différente du reste de l’industrie, et de Rivian, une marque de camions électriques qui fait à peine son apparition sur le marché.
Conséquence : les consommateurs finissent par payer plus que prévu. Généralement, ce sont quelques centaines de dollars de plus qu’il faut débourser, les différences entre un modèle 2022 et un 2023 n’étant pas si grandes. Dans ces cas, l’APA considère qu’il est plus simple d’absorber la surprime, ce qui reviendra probablement moins cher et plus rapide que de reprendre le processus de magasinage à partir du début.
Il existe tout de même des cas où la somme exigée est de quelques milliers de dollars supérieure à celle initialement prévue. Me Hubert Lamontagne cite l’exemple d’acheteurs qui ont dû débourser de 2000 à 4000 $ de plus pour l’achat de petites familiales, comme une Subaru Crosstrek à essence ou une Volkswagen ID.4 tout électrique.
Dans ces cas, l’organisme de défense des automobilistes dit qu’il est préférable de payer, quitte à indiquer clairement son intention d’intenter une action en justice par la suite. « Notre conseil est d’absorber une petite hausse, mais si elle est de quelques milliers de dollars, il y a probablement matière à recours par la suite », dit Me Lamontagne.
Une action collective, elle aussi liée à une hausse des prix mais survenue dans le marché des véhicules récréatifs en 2022, a d’ailleurs été présentée en cour l’an dernier par BGA Avocats, un cabinet de Québec spécialisé dans ce type de litiges. Si suffisamment de consommateurs mécontents de payer plus cher pour leur auto neuve se font connaître, cela pourrait convaincre un bureau d’avocats d’aller plus loin et d’intenter à son tour une telle action, conclut l’APA.