Propriétaires et locataires feront-ils les frais de la flambée des valeurs foncières?

L’augmentation moyenne de l’évaluation foncière sur l’île de Montréal est de 32,4%, un pourcentage qui atteint 35,5% pour le secteur résidentiel.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir L’augmentation moyenne de l’évaluation foncière sur l’île de Montréal est de 32,4%, un pourcentage qui atteint 35,5% pour le secteur résidentiel.

Les valeurs foncières ont explosé au Québec à la suite de l’embellie immobilière des deux dernières années, ce qui fait craindre aux propriétaires une augmentation de leurs taxes. Même si la hausse ne sera pas proportionnelle à celle de l’évaluation foncière, elle pourrait tout de même faire mal à ceux qui sont déjà sous pression à cause de la remontée des taux d’intérêt. Et de nombreux locataires pourraient en faire les frais.

Bien des propriétaires montréalais ont avalé leur café de travers dans les derniers jours lorsqu’ils ont été avisés de la hausse de la valeur de leur propriété inscrite au nouveau rôle d’évaluation foncière de l’agglomération de Montréal, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023 pour une durée de trois ans. On parle d’une augmentation moyenne de 32,4 % de l’évaluation foncière sur l’île, un pourcentage qui atteint 35,5 % pour le secteur résidentiel, du jamais vu depuis 2007.

Cette hausse ne se répercutera par contre pas de façon aussi prononcée sur l’avis d’imposition des propriétaires montréalais, précise la Ville. En plus de répartir sur trois ans l’impact de la hausse des valeurs foncières, Montréal va réviser le taux de taxation de chaque tranche de 100 $ de la valeur des propriétés à la baisse cette année, confirme au Devoir la présidente du comité exécutif Dominique Ollivier.

Les taxes municipales des propriétaires montréalais n’augmenteront donc pas autant que la valeur foncière de leur demeure.

« Il est certain qu’il peut y avoir des hausses de taxes, mais ça ne va certainement pas être corollaire à l’augmentation de l’évaluation foncière », indique l’avocate Cassandre Louis, associée au cabinet De Grandpré Chait et spécialisée en droit immobilier.

Pour déterminer leurs taux de taxation, les municipalités déterminent d’abord leur budget et les revenus fonciers auxquels elles s’attendent, puis elles les divisent par les valeurs foncières, explique Me Louis. Ces taux devraient donc descendre et atténuer le choc appréhendé. Mais il faudra attendre le dépôt du budget de la Ville de Montréal, le 29 novembre prochain, pour en avoir le coeur net.

Par contre, les propriétaires qui subissent une augmentation de l’évaluation foncière supérieure à la moyenne peuvent déjà s’attendre à voir leur avis d’imposition gonfler de manière plus importante, estime la spécialiste en droit immobilier.

Par exemple, à Montréal, l’évaluation foncière des condominiums a augmenté de 30,7 % au rôle de 2023 par rapport au précédent, celui de 2020. L’évaluation des maisons unifamiliales, elle, a bondi de 38,6 %.

« Vu l’augmentation immobilière des dernières années, ce n’est pas non plus surprenant qu’il y ait eu une augmentation des évaluations foncières », rappelle Vanessa Hergett, avocate spécialisée en droit municipal chez Beauregard Avocats.

L’évaluation foncière est fixée à une date donnée, soit tous les trois ans, et n’est pas une « commande politique », rappelle d’ailleurs Me Hergett. Il ne faut pas croire que « les villes cherchent à s’en mettre plein les poches », souligne-t-elle.

 

Des taxes gonflées par l’inflation ?

Le taux actuel d’inflation, qui oscille autour de 7 % au Québec, risque par contre d’alourdir le fardeau fiscal des propriétaires montréalais.

Il y a en effet une limite à la capacité de la Ville d’« absorber » une partie de l’inflation en grugeant ses surplus — ou en alourdissant sa dette —, convient la présidente du comité exécutif de Montréal. La métropole ne pourra donc pas limiter cette année la hausse des taxes du secteur résidentiel à une moyenne de 2 %, comme elle l’a fait l’an dernier, admet Mme Ollivier.

« Mais dans la confection de notre budget, on retourne chaque pierre et on regarde ce qu’il est possible de faire pour respecter la qualité des services qu’on donne et en même temps respecter la capacité de payer des Montréalais », promet-elle.

La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) s’attend d’ailleurs à ce que la hausse des taxes municipales imposées au secteur résidentiel frise les 5 % dans le prochain budget montréalais. Ce qui aurait un effet concret sur les finances des propriétaires, mais aussi de leurs locataires, prévient-elle. « C’est là que ça ramène la fausse impression que les locataires ne paient pas de taxes municipales. C’est faux : il y a une part de leur loyer qui va s’adapter à la hausse de la taxation foncière », rappelle le directeur des affaires publiques de la CORPIQ, Marc-André Plante.

Par ailleurs, la hausse de la valeur foncière d’une propriété peut avoir pour effet d’augmenter les primes d’assurances habitation et les taxes scolaires imposées aux propriétaires. Autant de dépenses qui peuvent être transférées aux locataires au moyen d’une hausse des loyers, ajoute M. Plante.

« Par expérience, quand il y a des hausses de taxes plus élevées qu’à l’habitude, des propriétaires se servent de ce prétexte-là pour imposer des hausses de loyer beaucoup plus hautes que celles qui leur sont imposées », affirme quant à lui le porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, Martin Blanchard.

Un modèle critiqué

De plus, des voix s’élèvent pour critiquer le fait que le nouveau rôle d’évaluation foncière se base sur la valeur des propriétés en date du 1er juillet 2021, époque où le marché immobilier connaissait une période de surenchère marquée par une forte demande. Or, les mises en chantier ont diminué depuis, tout comme les ventes de propriétés, ce qui a entraîné un ralentissement du marché immobilier que ne reflète pas ce nouveau rôle, déplore la CORPIQ.

« C’est un peu comme si on avait pris la température de l’eau en plein mois de juillet et qu’on l’appliquait en plein mois de décembre, alors que l’eau est à son plus froid. La réalité, c’est que le nouveau rôle à Montréal est appliqué au moment où le marché immobilier est en moins bonne posture », affirme M. Plante. Ce dernier croit ainsi qu’un nombre élevé de propriétaires pourraient décider dans les prochains mois de contester l’évaluation foncière de leur propriété en faisant valoir qu’elle n’est pas représentative de la réalité.

Plus de 300 personnes avaient d’ailleurs déjà signé une pétition en ligne, mercredi après-midi, afin de s’opposer aux augmentations inscrites au nouveau rôle foncier de la Ville de Montréal. Le document demande que le prochain budget municipal se base sur le rôle de 2020 plutôt que sur celui qui entrera en vigueur l’an prochain.

Les demandes de révision peuvent être déposées jusqu’au 1er mai prochain.

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