Laval dit oui à un grand complexe de studios malgré l’avis contraire de ses urbanistes

Pour accueillir l’un des plus grands complexes de studios de cinéma d’Amérique du Nord, la Ville de Laval est passée outre les recommandations de son service d’urbanisme. Celui-ci estime que la « Cité du cinéma », qui devrait être composée de sept grands studios, ne respecte pas l’aménagement du territoire prévu, selon un rapport consulté par Le Devoir.
« Dans sa forme actuelle, ce projet ne permet pas d’assurer une saine planification de l’aménagement du territoire », lit-on dans un document du Service d’urbanisme de la Ville de Laval, réalisé en juin dernier. « En conséquence, il y aurait lieu [de recommander] au Comité exécutif de refuser » la demande de modification de zonage du promoteur immobilier Michel Trudel.
Figure connue de l’industrie cinématographique, Michel Trudel a, pendant plus de 30 ans, été responsable d’attirer des mégaproductions américaines à Montréal au nom des studios MELS. En juin 2020, il a quitté l’entreprise en mauvais termes avec Groupe TVA, qui en est devenu le propriétaire en 2015.
Depuis, celui que certains surnomment « Monsieur Cinéma » veut bâtir à Laval un immense complexe cinématographique pour accueillir les grandes productions, dont celles d’Hollywood. Comme décrit dans le rapport, cette « Cité du cinéma » serait composée de sept studios, d’aires de tournage extérieur, d’entrepôts, d’espaces pour fabriquer des décors, de bureaux et d’une école de cinéma.
Zonage et environnement
Or, le service d’urbanisme de Laval estime que le projet contrevient non seulement au zonage des terres que la Ville compte vendre pour 32 millions de dollars au promoteur, mais aussi qu’il déroge de l’ambition qu’entretenait Laval pour réduire l’impact du développement immobilier sur l’environnement : « Le projet de construction ne contribue pas à lutter contre les changements climatiques [ex : îlots de chaleurs, accès en automobiles, transports actifs]. »
Le document souligne les bouleversements qu’engendre le projet dans le quartier Saint-François. Par exemple, les services des loisirs et celui de l’ingénierie « sont préoccupés » par la perte d’une rue qui devait être construite sur le site et qui est présentée comme nécessaire à la construction d’une nouvelle école qui devait accueillir les élèves dès 2024.
En entrevue au Devoir, le nouveau maire, Stéphane Boyer, défend son appui au projet : « Dans ce cas-ci, le service de l’urbanisme n’était pas favorable. Mais d’un autre côté, [les services] du développement économique et la direction générale de la ville étaient favorables. On a entendu les arguments de part et d’autre et on a tranché. »
Le projet devrait créer 150 emplois à temps plein, 300 emplois temporaires. En moyenne, ce sont 500 personnes par jour qui occuperont la « Cité du cinéma », selon la description du projet.
On a entendu les arguments de part et d’autre et on a tranché
Le maire Boyer rappelle que les premières discussions entre Michel Trudel et la Ville ont eu lieu à « l’hiver dernier » : « Il n’était pas capable de trouver un terrain suffisamment grand pour accueillir le projet. » C’est la Ville elle-même qui a proposé deux lots situés en zone résidentielle (60 %) et industrielle (40 %), dans un secteur à l’est de l’île Jésus.
« Pas au bon endroit »
En juillet, la Ville a accepté de vendre sous condition que la modification du zonage soit acceptée. Depuis, ce changement a été adopté par les élus, mais des citoyens le contestent devant la Commission municipale du Québec, qui devra trancher d’ici la fin novembre. Jimmy St-Germain fait partie de ce regroupement : « Le projet est certainement un bon projet, mais on ne l’installe pas au bon endroit. »
« Le bâtiment tel qu’il a été présenté en juillet à l’Hôtel de Ville à Laval montre une bâtisse en longueur de 700 mètres de long et de quatre étages de haut. Ce n’est pas rien dans un quartier résidentiel, surtout à l’entrée de ce qu’on peut présenter comme un petit village », dit-il, estimant que « tout s’est passé très vite dans ce dossier ».
Et il n’y a pas que l’impact que le complexe pourrait avoir sur le tissu résidentiel, ajoute-t-il : « Dans notre résistance, il y a — et on ne s’en cache pas — une composante écologique en lien avec ces terres-là. Non seulement on crée des îlots de chaleur, mais on détruit également des terres cultivables. »
Car si les terres ne font pas partie d’une zone agricole protégée, elles n’en restent pas moins cultivées. Hier, le site La Terre de chez nous rapportait que deux producteurs maraîchers louaient ces lots à Laval depuis des années. L’un des agriculteurs, Mathieu Forget, soutenait dans l’article avoir déjà tenté d’acquérir une partie de ces lots : « On a essayé de l’acheter [la terre de quatre hectares qu’on cultivait], mais la Ville n’a jamais voulu nous la vendre. On peut comprendre, car c’est un secteur très stratégique de Laval, avec une grande valeur commerciale. »