Qu’est-ce qu’une récession et à quoi doivent s’attendre les investisseurs?

Inflation écrasante, remontée musclée des taux d’intérêt, crise énergétique sur fond de tensions géopolitiques… L’économie mondiale traverse des turbulences. Peut-on espérer un peu de répit dans les prochains mois ou doit-on plutôt s’attendre à une contraction de l’économie, alors que le scénario d’une récession est de plus en plus évoqué ? Voici un petit guide pour mieux comprendre ce qui pointe à l’horizon.
Qu’est-ce qu’une récession, et en traversons-nous une ?
« Actuellement, on ne dispose pas de tous les paramètres pour dire si on est en récession. Disons que les pronostics [selon lesquels] ça pourrait arriver sont forts, mais ce n’est pas évident », nuance d’emblée Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins.
Habituellement, et de façon très simpliste, une récession se caractérise par deux trimestres consécutifs de recul du produit intérieur brut (PIB). « Mais il y a un paquet d’autres paramètres qui entrent en ligne de compte », explique Mme Noreau.
Au Canada, c’est l’institut C.D. Howe, chargé de déterminer les cycles économiques canadiens, qui tranche pour déterminer si le pays se trouve en récession ou non. Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale, qui siège à ce comité, rappelle qu’une récession se qualifie notamment par une baisse généralisée de l’activité économique dans l’ensemble des secteurs, et qu’elle s’accompagne également d’importantes pertes d’emploi. « Est-ce que nous sommes dans une récession présentement ? Non. Est-ce qu’il y a une possibilité grandissante de récession ? Absolument. Mais encore faut-il que ça se confirme par des licenciements importants sur le marché de l’emploi, et nous n’en sommes pas là », plaide-t-il.
« On peut jouer sur la sémantique, se demander si on est en récession ou pas, mais ce qui semble inévitable, c’est qu’on se dirige vers une croissance économique anémique dans les prochains mois », estime l’expert.
La pénurie de main-d’oeuvre protège-t-elle des licenciements ?
La situation actuelle est particulière, s’entendent pour dire les experts. « En toute franchise, il n’y a pas de modèle économique calibré pour le genre de cycle qu’on vit présentement », souligne Stéfane Marion.
Normalement, en période de récession, les entreprises doivent laisser partir des employés pour maintenir leur chiffre d’affaires pendant que l’activité économique ralentit. Or, actuellement, la pénurie de main-d’oeuvre pourrait forcer les employeurs à y réfléchir à deux fois, parce qu’il sera plus difficile de recruter des travailleurs une fois la vigueur économique retrouvée, croit Joëlle Noreau.
Aussi, les départs « naturels » de certains employés qui prennent leur retraite pourraient éviter aux entreprises de devoir réduire leurs effectifs, croit quant à lui M. Marion.
« La dernière fois qu’il y a eu une vraie récession au Canada, en 2008, il y avait 180 000 Canadiens par année qui quittaient leur emploi pour prendre leur retraite. Aujourd’hui, c’est 300 000 Canadiens. Au Québec, on est passé de 40 000 Québécois en 2008 à 70 000 en 2022, ce qui représente une augmentation de 75 % ! La démographie est tout à fait différente, ce qui permet donc aux entreprises de réduire leurs effectifs en gelant les embauches plutôt qu’en faisant des mises à pied massives », argue l’économiste en chef de la Banque Nationale, qui souligne que cette perspective aurait aussi un effet « beaucoup moins néfaste » sur le revenu disponible des ménages.
Quelles sont les causes du ralentissement économique ?
En début de semaine, l’Organisation des Nations unies mettait en garde contre le risque que les politiques monétaires des pays développés puissent pousser le monde vers une récession mondiale et une stagnation prolongée.
Or, les banques centrales n’ont pas vraiment d’autre choix que de hausser les taux d’intérêt pour freiner l’inflation, rappelle Joëlle Noreau. « Il n’y a pas mille façons de le faire. Il faut limiter la demande des consommateurs et des entreprises. Et la façon de le faire, c’est de monter les taux d’intérêt. L’objectif des banques centrales n’est pas d’entraîner une récession ! Leur objectif est de rabattre l’inflation à des niveaux plus soutenables, plus près de ce qu’on connaît en temps normal. Sauf que la récession pourrait être un effet collatéral », concède-t-elle.
Mais la hausse rapide et musclée des taux d’intérêt appliquée par les banques centrales pour freiner l’inflation n’est pas le seul élément qui contribue au ralentissement de l’économie…
Notamment, les perturbations des chaînes d’approvisionnement liées à la pandémie se font encore sentir. « Aux États-Unis, il y a 3 points de pourcentage de l’inflation qui sont attribués à des problèmes de chaînes d’approvisionnement qui ne sont pas tout à fait résolus », illustre M. Marion.
La crise énergétique, déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, pèse aussi sur la production mondiale, et plus particulièrement sur celle de l’Europe.
Mais dans ce contexte, étant donné que le Canada est un exportateur d’énergie, son économie pourrait profiter d’un « potentiel de résilience qui ne doit pas être négligé », croit M. Marion. « Il y a aussi une bonne partie de la production industrielle européenne qui n’est pas économiquement rentable à cause de la hausse des prix de l’énergie. Cela fait en sorte qu’une partie de sa capacité de production pourrait être déplacée vers l’Amérique du Nord », ajoute-t-il.
À quoi doivent s’attendre les investisseurs ?
Côté Bourse, les craintes d’un ralentissement économique et le fort resserrement des politiques monétaires se traduisent depuis quelques mois déjà par un marché baissier. « Depuis son sommet atteint en décembre dernier, le SP500 s’est replié de 20 % », illustre Ruben Antoine, gestionnaire de portefeuille et conseiller financier chez Tulett, Matthews & Associates.
« Cependant, historiquement, les rendements qui suivent une chute marquée du marché ont eu tendance à être très positifs », dit-il. « Même si la Bourse est grandement influencée par l’économie, il faut noter que leur évolution ne se fait pas nécessairement en tandem. Le cycle boursier, quoiqu’imprévisible, a tendance à être en anticipation par rapport [au cycle] économique », explique M. Antoine.
« Comme le marché boursier est un indicateur prospectif, c’est-à-dire qu’il a tendance à réagir en avance aux événements attendus, comme une possible récession, remanier son portefeuille durant une baisse des actions signifie faire des changements au pire moment, et potentiellement manquer de bons rendements d’une reprise des marchés », soutient le conseiller financier.