Portrait des «ultrariches» près de chez vous

Avoir des gains individuels de 88 400$ était suffisant en 2019 pour appartenir aux 10% des Québécois les plus riches.
Photo: Fang Xia Nuo Getty Images Avoir des gains individuels de 88 400$ était suffisant en 2019 pour appartenir aux 10% des Québécois les plus riches.

Les riches ne sont peut-être pas toujours ceux que l’on croit au Québec. Et ils paient aussi peut-être plus d’impôts que l’on pense.

Malgré ce que certains en disent, Québec solidaire ne se trompe probablement pas beaucoup lorsqu’il affirme qu’environ 5 % des Québécois ont une valeur nette d’un million de dollars ou plus. Ce que le parti ne dit pas, cependant, c’est que le Québec taxe déjà proportionnellement plus la richesse accumulée que la moyenne des pays développés.

Il en va de même en matière de revenu annuel, puisque des gains individuels de 88 400 $ étaient suffisants en 2019 pour que leur titulaire appartienne aux 10 % des plus riches. Le cinquième le plus riche des Québécois compte d’ailleurs pour plus de 70 % des recettes de l’impôt sur le revenu des gouvernements.

L’idée de Québec solidaire d’un impôt annuel sur les avoirs des « ultrariches » s’est attiré des critiques. Visant les individus dont les actifs nets (avoirs moins dettes) dépassent le million de dollars, elle toucherait bien plus que seulement 5 % de la population, pense-t-on, parce qu’elle sous-estimerait le prix des maisons ou encore la valeur actuarielle des régimes de pension à prestations déterminées du secteur public et de certaines grandes entreprises privées.

Dans ses calculs, Québec solidaire s’est basé sur une Enquête sur la sécurité financière réalisée de façon ponctuelle par Statistique Canada auprès des ménages, dont la plus récente édition remonte à 2019. Comme sa mesure vise les individus, QS a divisé les actifs en parts égales entre les membres adultes de chaque ménage.

Les « ultrariches »

Or, 4,8 % des ménages au Québec disposaient d’un actif net d’au moins deux millions en 2019, a rapporté Statistique Canada au Devoir la semaine dernière. L’âge médian de leur principal soutien économique était de 61 ans.

Lorsqu’on élargit le regard aux 20 % des ménages québécois les plus riches, on se retrouve avec une valeur nette médiane de 1,31 million, contre 545 000 $ pour le deuxième quintile le plus riche, et de seulement 2600 $ pour les 20 % les plus pauvres.

Les chiffres de l’agence tiennent compte des actifs financiers, dont la valeur actuarielle des régimes de retraite offerts par l’employeur, des actifs non financiers, comme les biens immobiliers et les véhicules, ainsi que des capitaux propres dans une compagnie. Elle soustrait du total toutes les dettes (prêts hypothécaires, marges de crédit, cartes de crédit, prêts étudiants, etc.) pour arriver à la valeur nette des ménages.

Généralement fiables, ces chiffres sur le patrimoine accumulé doivent toutefois être considérés avec de plus en plus de prudence à mesure qu’on s’élève dans les sphères sélectes de la richesse, met en garde Statistique Canada. En 2020, le directeur parlementaire du budget à Ottawa avait d’ailleurs estimé qu’il fallait augmenter du tiers la valeur nette attribuée aux 5 % les plus riches, la doubler pour le 1 % le plus fortuné et la quadrupler pour ceux qui appartiennent au 0,1 %.

Des impôts déjà plus lourds qu’ailleurs

Estimant anormal que le Québec n’ait pas d’impôt sur les successions, contrairement à tant d’autres pays, Québec solidaire promet également d’établir une taxe de 35 % sur la part des héritages dont la valeur nette dépassera un million.

C’est toutefois oublier que le Québec et le Canada ont une autre façon de taxer les avoirs d’un contribuable à son décès. Aux yeux du fisc, la personne décédée liquide tous ses avoirs et doit payer l’impôt sur les gains en capital avant de pouvoir transmettre son patrimoine, expliquait l’année dernière au Devoir le professeur et titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout.

En fait, si l’on tient compte de l’ensemble des taxes et impôts sur la richesse, y compris l’impôt foncier, qui est une autre forme de taxe sur les avoirs des particuliers, le Québec se révèle l’un des endroits où les impôts sur le patrimoine sont les plus élevés parmi les économies développées, à raison de recettes totales équivalentes à 3,6 % de son produit intérieur brut (PIB), contre 3 % aux États-Unis, 4 % en France, 1 % en Suède et une moyenne de 1,9 % dans les pays de l’OCDE.

Les revenus du 1 % et des autres

Une situation similaire se présente en matière de revenus. Dans ce cas, plusieurs partis politiques promettent de hausser les impôts des plus riches (Parti libéral et QS) ou de baisser les taux s’appliquant aux premières tranches de revenu (Coalition avenir Québec, Parti conservateur et QS).

Encore une fois, le Québec se démarquait déjà comme l’une des économies développées où l’impôt sur le revenu des particuliers est le plus élevé. Ses recettes s’y élèvent à l’équivalent de 14,1 % du PIB, contre 10,5 % aux États-Unis, 9,6 % en France, 12,4 % en Suède et une moyenne de 8,3 % dans les pays de l’OCDE.

En 2017, l’essentiel de ces recettes de l’impôt sur le revenu venait de la poche des 20 % les plus riches des Québécois, qui, avec 51 % de l’ensemble des revenus, comptaient pour 71 % des recettes du gouvernement, rapportait au début de l’année la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Si l’on ajoute la contribution du deuxième quintile le plus riche, on arrive à plus de 91 % des recettes totales de l’impôt sur le revenu.

Il suffisait de gagner un peu plus de 41 500 $ cette année-là pour appartenir au groupe des 40 % des Québécois ayant les meilleurs revenus, et un peu moins de 65 000 $ pour être du cinquième le plus riche. Il faut dire que, encore deux ans plus tard, le revenu annuel médian des Québécois était de 28 600 $, et que le club des 10 % les plus riches commençait à 88 400 $ et le fameux 1 %, à 234 700 $.

Retour aux citoyens

 

Toutes ces recettes fiscales sont retournées aux citoyens en services et en infrastructures publics, mais aussi en argent sonnant et trébuchant pour ceux qui en ont le plus besoin. Le Québec se démarque particulièrement lorsqu’il est question des personnes à faibles revenus et des ménages avec enfants, montre la Chaire dans son bilan.

Dans certains cas, comme chez les familles à revenus modestes avec enfants, il est même l’endroit où la « charge fiscale nette » est la plus basse de toutes les économies de l’OCDE, avec des transferts d’argent plus importants que l’impôt à verser. Cette situation se renverse toutefois rapidement aussitôt que les revenus des individus croissent et qu’il n’y a pas d’enfants dans le portrait.

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