Gazifère, prêt à commercialiser l’hydrogène sous peu

Prête à injecter un « haut niveau » d’hydrogène vert dans l’ensemble de son réseau de distribution, la québécoise Gazifère se prépare à devenir le premier distributeur canadien à commercialiser la molécule pour la totalité de sa clientèle.
« On n’est plus dans une phase de tests, mais dans une phase commerciale », confirme au Devoir Jean-Benoit Trahan, président de Gazifère, distributeur de gaz naturel dont le réseau de 1000 kilomètres dessert plus de 43 000 clients en Outaouais. « On sait qu’on peut injecter [de l’hydrogène] dans notre réseau, là on veut le faire », poursuit-il.
Gazifère deviendra ainsi le premier distributeur canadien, voire nord-américain, à injecter de l’hydrogène dans l’ensemble de son réseau. Des démarches ont d’ailleurs été entamées pour obtenir le feu vert la Régie de l’énergie du Québec. Dans sa demande, la filiale de l’albertaine Enbridge indique vouloir injecter « ce type d’énergie à courte échéance ».
« On espère être en mesure [d’injecter de l’hydrogène] d’ici deux ans, maximum trois, précise M. Trahan. Vous comprenez que les étapes sont déjà longues en temps normal ; les retards actuels dans la chaîne d’approvisionnement peuvent engendrer un délai pour certains équipements. »
Au cours de la dernière année, le distributeur a analysé son réseau pour connaître sa capacité à recevoir de l’hydrogène. Les analyses sont concluantes, selon M. Trahan : « Les résultats nous disent quelle concentration [d’hydrogène] peut être injectée, en pourcentage. »
Un « haut niveau d’hydrogène » pourra être introduit dans le réseau, dit-il, sans toutefois détailler ces résultats, qui seront publiés dans les prochaines semaines. Rappelons qu’en Europe, où des distributeurs sont en phase de commercialisation, le seuil de concentration en hydrogène ne dépasse pas 20 %.
D’autres acteurs intéressés par l’hydrogène
Gazifère n’est pas le seul acteur de l’industrie à vouloir se positionner dans la filière de l’hydrogène. Le plus important distributeur de gaz de la province, Énergir, teste actuellement les composantes de son réseau en injectant de petites quantités d’hydrogène, en circuit fermé, dans deux sites qu’elle détient : l’un situé près de la Cité du Multimédia, au sud du centre-ville de Montréal, et l’autre dans le Quartier de l’énergie, à Boucherville.
Une autre entreprise québécoise, Intragaz, a pour sa part fait une demande à la Régie de l’énergie pour tester ses infrastructures. L’entreprise détient les deux seuls sites d’entreposage de gaz naturel au Québec qui sont, en fait, des gisements épuisés convertis. L’un d’eux est situé dans le secteur de Pointe-du-Lac à Trois-Rivières, alors que l’autre se trouve à Saint-Flavien, près de la ville de Québec.
Or, dans cette course à la distribution de l’hydrogène, Gazifère détient un avantage sur ses concurrents, selon M. Trahan : « On a la chance d’être un grand petit réseau. Comme notre réseau est concentré, on est capable d’injecter [de l’hydrogène] dans l’ensemble de notre réseau pour voir comment on doit s’adapter par la suite. »
Au chapitre de l’hydrogène, Gazifère mise sur la mise en place « d’un réseau multi-injection-multiconsommation ». L’entreprise discute actuellement avec des producteurs d’hydrogène pour injecter [de l’hydrogène] dans son réseau, dit-il. Ceux-ci augmenteraient la capacité de production qui devrait provenir dans les prochaines années de Gazifère. Rappelons que l’entreprise de Calgary Enbridge, propriétaire de Gazifère, a établi une entente avec une filiale du géant de l’énergie Brookfield pour produire de l’hydrogène vert qui sera injecté dans le réseau de distribution.
Transition énergétique complexe
Jean-Benoit Trahan concède qu’il est difficile de jauger avec précision le rôle que jouera l’hydrogène dans les prochaines décennies. Sa consommation dépend du déroulement de la transition énergétique qui, elle, est pour le moins « complexe », dit-il. « L’utilisation de l’hydrogène va donc être différente en fonction des besoins de certaines industries, mais également en fonction des régions où on se trouve, voire d’une localité. »
On a la chance d’être un grand petit réseau. Comme notre réseau est concentré, on est capable d’injecter [de l’hydrogène] dans l’ensemble de notre réseau pour voir comment on doit s’adapter par la suite
Lorsqu’il est question de transition énergétique, plusieurs incertitudes persistent, explique-t-il, citant l’exemple du transport : « À part le transport lourd, l’hydrogène y est moins efficace que le stockage d’électricité dans une batterie, c’est vrai. Mais il y a des contraintes à produire des batteries : que ce soit sur le plan de la production minière et du jeu géopolitique. La place de l’hydrogène s’inscrit dans ce jeu-là. »
Les stratégies sur l’hydrogène du Canada et du Québec ont respectivement été publiées en décembre 2020 et en mai 2022. Le Canada avance que la molécule pourrait jouer un rôle essentiel « en fournissant jusqu’à 30 % de l’énergie d’utilisation finale au Canada d’ici 2050 ». Le Québec n’a pour sa part pas fait de prévisions, mais accorde une place beaucoup moins importante à ce vecteur énergétique qu’aux secteurs « plus matures » des bioénergies, dans lesquels il investit davantage.
Une version précédente de ce texte, qui mentionnait qu'Intragaz avait reçu le feu vert de la Régie de l'énergie, a été corrigée.