Les cadres financiers des grands partis décortiqués
Des libéraux moins préoccupés qu’autrefois par les déficits. Un gouvernement caquiste qui financerait ses baisses d’impôt à même les versements prévus au Fonds des générations. Une dette publique qui resterait relativement sous contrôle…
Les partis politiques ont progressé en matière de transparence électorale, constatent des experts. Même si tout cela peut, malgré tout, rester difficile à digérer pour le commun des mortels, le dévoilement de leurs cadres financiers force plus que jamais les politiciens à expliquer et chiffrer leurs promesses.
Ramenant à l’avant-plan une demande répétée, entre autres, de l’Association des économistes québécois (ASDEQ), la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke avait lancé le mois dernier un avertissement solennel aux partis politiques québécois sur le point d’entrer en campagne électorale. Vous n’aurez plus d’excuses de ne pas présenter de manière claire et comparable les impacts économiques et budgétaires de vos programmes électoraux, avait-elle dit, rappelant notamment qu’ils avaient désormais accès à un rapport préélectoral sur les finances publiques du Québec, contrôlé de surcroît par la vérificatrice générale, ainsi qu’à des outils de calcul et de simulation fiables.
Les cinq principaux partis en lice ont répondu à l’appel et ont présenté des cadres financiers s’étalant jusqu’à la fin de leur éventuel mandat en 2026-2027. « Je crois qu’il y a lieu d’être content. C’est clairement mieux que les autres fois », a observé en entrevue au Devoir le professeur et titulaire de la chaire, Luc Godbout.
Les chiffres ne sont pas toujours comparables entre les partis : certains d’entre eux n’ont pas suivi la recommandation qui leur avait été faite de ne pas changer certains grands paramètres du rapport préélectoral, comme la croissance prévue de l’économie ou les taux d’intérêt. C’est notamment le cas de la Coalition avenir Québec (CAQ) et du Parti conservateur du Québec (PCQ), qui se sont accordé une croissance économique légèrement supérieure en raison de l’impact positif qu’ils attribuent à leurs politiques.
D’un autre côté, il peut être légitime de s’accorder un petit coup de pouce supplémentaire de l’économie lorsqu’on est convaincu de l’efficacité de ses mesures, admet Luc Godbout. « L’important est de se montrer transparent et d’expliquer ces changements. Or, les explications ne sont pas toujours limpides. »
Un gouvernement est un grand navire qui ne peut pas changer brutalement de cap. Il ne faut pas trop s’étonner si les écarts entre les partis ne sont pas toujours aussi grands qu’on le croirait, surtout sur horizon de seulement cinq ans, explique Yves St-Maurice, chercheur à la chaire. « Parfois, les différences importantes se retrouvent moins dans les grands indicateurs que dans la façon que c’est fait. »
C’est le cas, par exemple, de la manière que les partis ont choisi pour revenir à l’équilibre budgétaire. Certains, comme la CAQ, se proposent de financer leurs baisses d’impôt en réduisant les versements au Fonds des générations ; d’autres, comme Québec solidaire, s’aideront avec de fortes augmentations de revenus.
Les cadres financiers révèlent quand même « des partis qui sont assez conformes aux attentes qu’on avait d’eux », poursuit Luc Godbout.
Sans surprise, un gouvernement dirigé par un parti de gauche comme Québec solidaire (QS) afficherait des dépenses plus importantes qu’un gouvernement conservateur. D’autres situations sont plus inhabituelles, comme de voir l’ancien parti de la « rigueur » — ou de « l’austérité », c’est selon — anticiper des déficits de plus en plus importants. « On dirait que le Parti libéral du Québec (PLQ) s’inspire des libéraux fédéraux de 2015, qui avaient remis en cause la pertinence de la poursuite de l’équilibre budgétaire. »
Sur ces questions, Yves St-Maurice s’étonne de la façon un peu cavalière avec laquelle les partis semblent considérer leurs obligations en vertu des lois sur l’équilibre budgétaire et le Fonds des générations. « Je comprends que tout le monde convient que le moment est venu de réviser ces lois et qu’une élection n’est probablement pas le moment pour discuter de ces enjeux, mais c’est frappant de voir comment on se permet des libertés sans même les expliquer. »
Les électeurs ne doivent pas trop s’en faire s’ils ont encore du mal à s’y retrouver dans les cadres financiers des partis politiques — ou même seulement à démêler qui promet quoi dans cette campagne — , dit Luc Godbout. « C’est comme un cube Rubik où il faut prendre en compte plusieurs faces en même temps. Le moindre changement à un élément, que ce soit les impôts, les dépenses, le solde budgétaire ou le Fonds des générations, peut avoir un impact sur les autres. »
« Les cadres financiers restent des choses relativement hermétiques qui intéressent surtout les experts », admet à son tour Yves St-Maurice. Ces outils n’en ont pas moins un immense pouvoir de clarification de débat électoral, estime-t-il. « Cela force les partis politiques à se commettre. Ils sont obligés à mettre leurs promesses sur papier, à les expliquer et à les chiffrer. La population peut ensuite s’appuyer sur quelque chose de plus concret pour leur poser des questions. Cela vaut la peine, juste pour cela. »