Un procédé jugé efficace pour traiter les déchets est freiné par une norme québécoise

Une norme québécoise freine l’adoption d’une technologie développée ici grâce au financement du gouvernement du Québec. Le procédé permet d’extraire 70 % des matières organiques des sacs de vidanges, une performance supérieure au système de bacs bruns, clament les villes qui veulent l’adopter.
« Les maires sont inquiets », concède Éric Maheux, directeur général de la Régie intermunicipale du comté de Beauce-Sud. « Sur notre territoire, les municipalités voudraient choisir un procédé plus efficace que le système de bacs bruns [pour recueillir les matières organiques], mais si elles font ce choix, elles perdent les redevances du gouvernement du Québec. »
Le procédé dont parle M. Maheux, c’est TRIOM, une technologie qu’exploite Viridis, entreprise de Sollio Groupe, anciennement La Coop fédérée. Le procédé extrait les matières organiques des sacs de vidanges grâce à une série d’opérations qui, au bout du compte, permettent de faire sécher le « jus de poubelle » dans des composteurs. Le compost qui sort du traitement est par la suite distribué à des agriculteurs.
En service depuis 2021, l’usine pilote de Viridis — située à Saint-Côme-Linière en Beauce — a montré qu’il est possible de récupérer plus de 70 % de la matière organique issue des résidus ménagers, ce qui se traduit par une baisse de 40 % des matières résiduelles qui finissent dans un site d’enfouissement, selon les données de l’entreprise. Et ce, sans avoir recours à une troisième collecte, soit celle des bacs bruns.
Or, le gouvernement n’accorde des redevances qu’aux municipalités qui mettent en place un système de « tri à la source ». Du coup, les systèmes de traitement mécano-biologique (TMB) — comme le procédé TRIOM — en sont exclus. Pour les municipalités de la région, cela représente un manque à gagner de près 450 000 dollars annuellement si elles décident d’opter pour cette technologie.
Des résultats « égaux, voire supérieurs »
M. Maheux comprend mal l’approche du gouvernement. « Lorsqu’on utilise un système de bac brun, on est tributaire de ce que les gens y mettent. Avec le procédé de Viridis, on s’assure de détourner la matière organique et, en plus, en fouillant dans les déchets, on peut prendre les matières recyclables qui s’y trouvent comme le plastique, le carton ou le fer. »
Vice-présidente aux opérations chez Recyc-Québec, Sophie Langlois-Blouin avance : « Une des finalités du tri à la source, c’est d’avoir des matières plus propres, plus homogènes, donc de tendre vers moins de contamination, mais également de favoriser la qualité du produit final, soit le compost ou le digestat, et s’assurer que la matière, elle, est bien recyclée dans un marché et qu’elle retourne au sol et qu’elle a une bonne valeur agronomique notamment. »
Concernant le projet de Viridis, Mme Langlois-Blouin rappelle que Recyc-Québec appuie financièrement l’initiative. « Donc, c’est un signe qu’on souhaite documenter la performance de technologies comme celle-là. Mais ces technologies peuvent aussi venir compléter, sur un territoire donné, un système qui s’appuie sur les bacs bruns. »
« Le fait de rendre admissible ou non notre technologie équivaut à sa vie ou sa mort au Québec », rétorque Simon Naylor, vice-président Traitement et transformation Viridis. « Notre technologie, pour des raisons économiques inéquitables, risque d’être mise de côté et pour beaucoup d’années. Car si les municipalités choisissent une autre solution, ce sera pour plusieurs années. »
Il ajoute : « Les résultats sont égaux, voire supérieurs aux attentes de performance établies lorsqu’on a demandé des bourses au ministère de l’Économie et à Recyc-Québec, qui nous ont d’ailleurs été accordées. » Par ces intermédiaires, le gouvernement a fait injecter 2,25 millions de dollars pour la construction de l’usine de Saint-Côme-Linière, soit plus de la moitié des coûts totaux, qui atteignent 4 millions.
Le plus efficace
La MRC de l’Érable, qui regroupe une dizaine de municipalités — dont Plessisville et Princeville —, espère aussi que le gouvernement revoit ses paramètres. À l’instar des municipalités de la Beauce, celles qu’elle représente veulent se tourner vers une solution TMB. « Et pour nous, le traitement mécano-biologique, c’est de toute évidence ce qui est le plus efficace », affirme Ézéchiel Simoneau, conseiller en développement durable de la MRC.
Le fait de rendre admissible ou non notre technologie équivaut à sa vie ou sa mort au Québec. [...] Car si les municipalités choisissent une autre solution, ce sera pour plusieurs années.
Entre 2017 et 2020, la MRC de l’Érable a participé à un projet pilote de TMB chapeauté par le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ). Constat : cela permettait de récupérer davantage de matières organiques que le système de bacs bruns, et la qualité du compost respectait les normes pour qu’il soit utilisé en agriculture.
Mais les villes de la région font actuellement face à un choix cornélien, note-t-il : elles doivent elles aussi choisir entre un procédé TMB et des redevances annuelles qui, dans leurs cas, totalisent « environ 250 000 dollars ».
M. Simoneau tient à souligner que le déploiement d’un système de bacs bruns nécessite la mise en place d’une troisième collecte, qui s’ajoute à celles du recyclage et des déchets. « Et dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, c’est un élément très concret à considérer sur un territoire comme le nôtre. » Avant d’ajouter : « En ayant deux collectes au lieu de trois, ça réduit le nombre de camions sur la route, donc les émissions ».
Rappelons qu’en 2020, le gouvernement du Québec a dû revoir à la baisse l’objectif de récupérer les matières organiques d’ici 2030, le faisant passer de 100 % à 70 %.