La «gameuse» qui a vaincu «Big Brother»

Stéphanie « miss » Harvey parle de retraite dans son livre, Missharvey, gameuse et fière de l’être, qui paraît cette semaine aux Éditions de l’Homme. Celle qui l’an dernier est sortie victorieuse de l’émission Big Brother Célébrités raconte des anecdotes de jeunesse qui ne datent pas de si longtemps dans le passé. Sans doute que si sa vie était un jeu vidéo, Liberté 36 en serait probablement le titre…
Il faut quand même nuancer : une retraite du sport électronique (ou « e-sport », comme le veut l’expression consacrée) n’est pas une pleine retraite professionnelle. La gameuse devenue femme d’affaires et même chercheuse universitaire dénombre plus de projets professionnels à venir que de projets auxquels elle a tourné le dos.
« Je suis un peu comme un joueur professionnel qui prend sa retraite du hockey et qui poursuit une carrière d’analyste à la télé ensuite, explique Stéphanie Harvey au Devoir. Je ne pense pas que tu puisses prendre une semi-retraite dans l’univers du sport électronique, c’est devenu trop compétitif. »
Quintuple championne mondiale des compétitions liées au jeu de tir et de stratégie militaire Counter-Strike, entrepreneure, personnalité du petit écran et influenceuse, l’actuelle Montréalaise a une feuille de route aussi bien remplie qu’un retraité de n’importe quelle ligue sportive. À la différence que sa ligue à elle remplit les stades et les arénas en opposant des adversaires qui sont assis devant un écran.
Encore des plafonds

À travers les quelque 232 pages de son autobiographie, l’autrice (un autre titre qu’elle pourra ajouter à son CV si tant est qu’elle ait encore besoin d’un CV) se décrit comme une femme qui aime les défis, qui carbure à la performance, qui a une grande capacité intellectuelle et qui n’a jamais voulu se confiner aux limites qu’on lui impose. N’est pas sacrée Canada’s Smartest Person par la CBC qui veut. Stéphanie Harvey est sortie également victorieuse de la troisième saison de cette série.
Et pourtant, on apprend au fil de la lecture que son succès repose par moments sur des prises de décision à l’opposé de cette description : se laisser couler comme une rivière pour contourner les écueils, prendre d’énormes décisions sur un coup de tête, se fondre dans le moule…
« Je laisse parfois aller les choses, en ce sens où je vais rarement avoir un plan défini, nuance-t-elle. Big Brother m’est carrément tombé dessus et quand ça m’a été proposé, j’ai plongé. Même chose plus tôt dans ma carrière à M. Net, où l’animateur Denis Talbot m’a invitée à participer et que j’ai dit oui. »
Stéphanie Harvey remercie d’ailleurs dans son livre le populaire animateur de la défunte chaîne Musique Plus et aujourd’hui producteur de Radio Talbot, une webémission quasi quotidienne sur le jeu vidéo. Grâce à ces deux-là et à quelques autres personnalités québécoises issues de cet univers ces dix dernières années, on sait aujourd’hui qu’il y a plus dans le jeu vidéo que des jeunes qui passent trop de temps devant un téléviseur dans le sous-sol parental. C’est une industrie plus riche et plus reconnue mondialement que le cinéma.
Ce n’est pas une industrie qui est sans tache pour autant. Une jeune femme qui veut faire comme les frères Mario et défoncer quelques plafonds, dans ce qui était et reste encore un peu beaucoup un monde d’hommes, le jeu vidéo, doit faire dans l’abnégation de temps en temps. Tous les dirigeants d’un studio de jeu vidéo n’ont pas eu à négocier avec un propriétaire de leur logement qui venait leur rendre visite avec la braguette ouverte et la bizoune à l’air. Les femmes ne le devraient pas non plus. Et pourtant. L’anecdote ne remonte pas si loin dans le passé de Miss Harvey.
Cybercitoyenneté
L’autrice l’écrit puis le dit, et ça se comprend : il lui est plus agréable de parler de ses projets à venir que de ressasser des souvenirs comme ceux-là. La semi-retraitée a d’ailleurs des projets plein la tête, elle qui est ces jours-ci responsable du développement de Counter Logic Gaming (CLG), la filiale de sport électronique de la Madison Square Garden Company, un géant new-yorkais du sport et du divertissement.
Mieux faire connaître le sport électronique au Québec est une priorité. « On joue plus aux jeux vidéo au Québec que partout ailleurs, mais l’e-sport reste très peu connu du grand public », constate-t-elle.
Ça pourrait changer dans les prochains mois. L’Université du Québec à Trois-Rivières devrait annoncer plus tard cet automne la création d’un ambitieux volet de recherche en sport électronique. Stéphanie Harvey y abordera des questions d’éthique et d’affaires. Le jeu vidéo est une porte d’entrée pour bien des jeunes dans la cybercitoyenneté, un autre sujet qui peine à s’imposer, tant à l’école que dans les discussions familiales.
C’est là où Miss Harvey espère avoir la plus grande influence. Faire des citoyens de demain des cybercitoyens responsables corrigera de nombreux défauts des univers numériques actuels : cybermenaces, cyberintimidation, cyberdépendance… Et si ça prend d’autres bouquins pour passer le mot, la « gameuse » est prête à ressortir la plume, qui, selon l’adage, est souvent plus forte que l’épée.
Même l’épée de Geralt de Riv, le populaire héros du jeu The Witcher, dont Netflix a décliné une série télé et que la jeune entrepreneure adore ? Peut-être. « J’ai déjà un environnement comme celui-là en tête. Il manque juste une histoire », dit Stéphanie Harvey, la « gameuse » qui a vaincu Big Brother.