La pénurie de main-d’oeuvre ne sera pas réglée par davantage de bras

La principale solution à l’impact économique du vieillissement de la population ne sera pas l’immigration. Elle consistera plutôt à trouver une façon de produire plus de richesse avec la main-d’oeuvre disponible. Pour ce faire, il faudra accorder beaucoup plus d’attention et de ressources aux questions de productivité qu’on ne l’a fait depuis des années.
Plusieurs Québécois ont probablement appris cette semaine que, selon des experts, le nombre d’immigrants reçus a assez peu d’impacts sur l’économie en général et sur la pénurie de main-d’oeuvre en particulier. En effet, si un renfort de travailleurs étrangers peut aider certaines entreprises ou industries bien particulières, l’immigration aurait un effet relativement modeste dans l’ensemble, parce que son apport à l’offre de biens et services équivaudrait, grosso modo, à son effet à la hausse sur leur demande. Ainsi, il serait beaucoup moins important d’essayer de trouver coûte que coûte de nouveaux travailleurs à l’étranger que de chercher à augmenter la richesse produite par ceux que l’on a déjà.
Trois grands facteurs viennent influer sur cette productivité de la main-d’oeuvre, rappelait la semaine dernière Statistique Canada dans un portrait de la situation. Le plus important au Canada depuis une dizaine d’années a été les changements technologiques et organisationnels ainsi qu’une optimisation des capacités de production actuelles.
Un deuxième facteur est l’investissement des entreprises privées et des pouvoirs publics dans les actifs corporels (machines, automatisation et technologie informatique, mais aussi routes, réseau Internet, ports…) et incorporels (recherche et développement, prospection minière…).
Déficits d’investissements
Or, en dépit de l’arrivée prévisible du choc démographique, les investissements des entreprises privées stagnent en proportion de la taille de l’économie depuis au moins une quarantaine d’années au Québec, comme en Ontario, déplorait cet hiver l’Institut du Québec lors des consultations prébudgétaires. C’est la faute d’une fiscalité trop lourde et de politiques industrielles faisant une fixation sur la création d’emplois, dénonçait au même moment le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal dans son plus récent bilan de la situation. Mais pas seulement. « Vraisemblablement habituées à disposer d’une main-d’oeuvre abondante et peu coûteuse, les entreprises de la province n’ont apparemment pas jugé nécessaire de se préparer en prévision du choc démographique. »
La situation n’a pas l’air d’être en voie de se corriger en dépit de la reprise économique, de la pénurie de main-d’oeuvre qui se fait de plus en plus mordante et des promesses de virage numérique et d’accélération de la transition verte qu’a fait espérer la crise de la pandémie de COVID-19. La dernière fois qu’on leur a demandé quelles allaient être leurs stratégies au cours des 12 prochains mois, moins de 8 % des entreprises québécoises ont dit vouloir « compter davantage sur l’automatisation et la technologie que sur la main-d’oeuvre », contre 25 % qui entendent améliorer leurs produits ou services, 14 % qui élargiront leur offre, 14 % qui ne savent pas et 45 % qui admettent n’en avoir aucune.
Les entreprises québécoises ne sont pas les seules à avoir négligé d’investir dans l’amélioration de leur productivité. Depuis au moins 10, sinon 30 ans, le niveau d’investissement des entreprises et des États des principales économies occidentales a diminué en dépit des taux d’intérêt extraordinairement bas, du délabrement des infrastructures publiques, de la révolution numérique et de l’impératif de la transition verte, constatait cet été le chroniqueur économique du Financial Times Martin Sandbu. À la place, les entreprises ont préféré augmenter les rendements qu’ils versaient à leurs actionnaires et les gouvernements, réduire leurs impôts ou augmenter leurs dépenses. L’Occident paye aujourd’hui le prix de cette vision à court terme avec des perspectives de croissance économique anémiques, se désolait l’analyste.
Le contexte ne facilitera pas les choses pour ceux qui voudraient corriger la situation. L’augmentation des taux d’intérêt des derniers mois a rendu le crédit plus cher. Les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont compliqué l’importation des nouvelles technologies. Quant aux efforts déployés pour diminuer le degré d’exposition aux bouleversements externes, voire pour augmenter le degré d’autonomie industrielle nationale, ils parviendront peut-être à réduire certaines vulnérabilités, mais au prix d’une certaine efficacité, notait Statistique Canada dans son portrait de la semaine dernière. L’expérience a montré que « l’exposition aux marchés étrangers et la croissance de la productivité vont de pair ».
Le facteur humain
Le troisième grand facteur qui influence la productivité de la main-d’oeuvre est la qualité de cette main-d’oeuvre, notamment en matière de formation, de compétences techniques et professionnelles ou encore de créativité et d’innovation. La façon habituelle de voir les choses est de considérer l’investissement en machinerie et en équipement des entreprises comme le déclencheur d’un cercle vertueux qui mènera à faire appel à un personnel plus qualifié, observait cet hiver l’Institut du Québec. Mais « après des décennies d’efforts (sans résultats satisfaisants) pour stimuler l’investissement », il est peut-être temps de renverser cette logique et d’explorer « le potentiel d’un processus où c’est le développement des compétences des travailleurs qui stimulerait la croissance de la productivité ». La disponibilité d’une main-d’oeuvre qualifiée deviendrait ainsi un « incitatif pour amener les entreprises, surtout les PME, à investir dans de nouvelles technologies et de nouveaux procédés, à se moderniser et à stimuler du même coup leurs pratiques d’innovation ».
Reste maintenant à voir si le Québec saurait être meilleur pour lutter contre le décrochage scolaire, pour encourager les étudiants à se diriger vers les secteurs qui en ont le plus besoin et pour convaincre les entreprises de la nécessité de fournir une formation continue à leurs employés.