Le rapatriement des chaînes de production se fait toujours attendre

Dans la réalité, la tendance à la mondialisation se poursuit tranquillement.
Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne Dans la réalité, la tendance à la mondialisation se poursuit tranquillement.

Toutes les histoires de rapatriement des chaînes d’approvisionnement et de renforcement de l’autonomie industrielle des pays restent beaucoup de bruit pour rien. Du moins pour le moment.

Il y a quelques années encore, les gouvernements, les entreprises et les experts n’en avaient que pour la mondialisation, la multiplication des accords de libre-échange et le fractionnement de la production en de longues chaînes planétaires — pour profiter ici de l’expertise en ingénierie et en marketing, là-bas des faibles coûts de main-d’oeuvre, ailleurs encore de l’abondance de matières premières —, a rappelé la semaine dernière Stéphane Paquin, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), lors d’une conférence de deux jours à Montréal sur l’enjeu stratégique de la relocalisation des chaînes de valeur.

Puis sont survenues une série de catastrophes (l’accident nucléaire de Fukushima, les guerres commerciales de Donald Trump, la pandémie de COVID-19 ou encore l’invasion de l’Ukraine par la Russie) qui ont révélé la fragilité de ces longues chaînes d’approvisionnement et la vulnérabilité de nos économies aussitôt que le premières s’enrayent.

C’est alors que de plus en plus de gouvernements et d’experts se sont mis à parler du rapatriement (ou relocalisation) des capacités de production (reshoring en anglais), du rapprochement géographique des chaînes de valeurs (nearshoring) ou encore de recherche de fournisseurs dans des pays amis (friendshoring).

Quelle relocalisation ?

Le ministère fédéral du Commerce international s’intéresse à la question depuis plusieurs années déjà, mais il a eu beau chercher, il n’a pas encore trouvé de « changement généralisé » derrière les quelques « anecdotes » parfois citées, a expliqué son économiste en chef, Marie-France Paquet.

Mis à part une augmentation graduelle de leurs inventaires, les entreprises canadiennes comme américaines vont même plutôt dans le sens contraire. En effet, la part étrangère de leur production ne va pas en diminuant, mais en augmentant légèrement : leurs fournisseurs se trouvent de plus en plus loin et ils viennent de plus en plus de pays avec lesquels elles n’avaient pas l’habitude de faire affaire. « C’est probablement parce que les avantages qui les avaient amenées à avoir recours à ces modes de production sont encore présents », a souligné l’économiste.

Les entreprises manufacturières québécoises qui voudraient rapatrier une partie de leur production rencontreraient de nombreux obstacles, a rapporté Hubert Rioux, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC). On pense aux coûts significativement inférieurs des intrants importés, bien sûr, mais aussi, ironiquement, à l’absence ou à la méconnaissance des fournisseurs locaux, au coût et à la disponibilité de la main-d’oeuvre au Québec, à l’expertise locale perdue ou limitée, aux réseaux de distribution inadaptés ou au risque de perdre l’accès aux marchés étrangers en croissance.

Le rôle des gouvernements

 

Sarah Guillou, de l’Observatoire français des conjonctures économiques à Sciences Po, à Paris, n’est pas tendre à l’égard de ces élus qui lancent un appel au rapatriement des chaînes d’approvisionnement et de leur déconnexion de la réalité économique. « L’autonomie de production, telle que la clament certains gouvernements pour flatter l’opinion publique au nom de la souveraineté économique, est une supercherie politique. »

Hubert Rioux est assez d’accord. « Avec une économie ouverte comme celle du Québec, il ne peut pas et ne doit pas être question démondialisation. » Ce qui ne veut pas dire qu’on ne pourrait y chercher, dans le secteur manufacturier, à réduire sa dépendance aux importations de « 2 ou 4 % », notamment lorsque le nombre de nos fournisseurs étrangers ou les produits en cause sont rares.

Pour ce faire, le rôle de l’État sera crucial, a noté Geneviève Dufour, professeure de droit international économique à l’Université de Sherbrooke. À eux seuls, les achats de biens et services par les différents niveaux de pouvoirs publics représentent un peu moins de 14 % du produit intérieur brut au Canada.

Imaginez si leurs appels d’offres ne tenaient pas seulement compte de la règle du plus bas soumissionnaire, mais valorisaient aussi les retombées économiques locales ou la faible empreinte environnementale.

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