Les prochaines élections ne viseront pas loin

Les mesures de prévention des désastres sont généralement négligées, contrairement au secours aux sinistrés, déplorent les chercheurs. Ici, on voit des voitures submergées par les eaux à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, le 28 avril 2019.
Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Les mesures de prévention des désastres sont généralement négligées, contrairement au secours aux sinistrés, déplorent les chercheurs. Ici, on voit des voitures submergées par les eaux à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, le 28 avril 2019.

Les principales conclusions des recherches décrites ici ne sont pas exactement une surprise, mais n’en sont pas moins décevantes et très préoccupantes, à la veille des élections générales au Québec.

Les politologues de l’Université de Montréal Olivier Jacques et Alain Noëlse penchent sur ce qui influence les choix des gouvernements dans les dossiers qui commandent un effort à long terme. Dans le cas présent, les chercheurs s’intéressent particulièrement aux investissements en santé publique, mais cela aurait aussi pu être à propos de nos efforts en matière d’environnement, d’éducation, de prévention des catastrophes ou de recherche et développement. C’est-à-dire tous ces domaines où les ressources investies aujourd’hui ont peu d’effets immédiats et dont les impacts potentiels, bien qu’importants et bien réels, seront diffus, moins visibles et répartis sur de nombreuses années.

Nos experts en parlent comme des « politiques silencieuses », en opposition aux « politiques bruyantes », qui attirent l’attention parce qu’elles ont une incidence plus rapide, reconnaissable et quantifiable pour les citoyens et les groupes d’intérêt. C’est le cas de mesures universelles, comme les investissements dans les hôpitaux, le personnel soignant et les médicaments du système de santé curatif. Mais c’est le cas aussi des politiques qui profitent à des sous-groupes de la société, comme le programme d’assurance-emploi ou les baisses d’impôt.

« La prévention des désastres est la quintessence d’un investissement à long terme parce qu’elle réduit la probabilité d’une catastrophe naturelle et diminue les dommages que celle-ci pourrait causer », illustrent Olivier Jacques et Alain Noël. Mais malgré leur « rendement du capital investi nettement supérieur », ces mesures de prévention sont généralement négligées, contrairement au secours aux sinistrés, « qui a un effet immédiat et très visible et qui obtiendra facilement l’appui des électeurs ».

Priorité aux « politiques bruyantes »

Or, comme l’argent est rare, et qu’il faut bien faire des choix, les citoyens, les groupes d’intérêt et les politiciens en quête d’électeurs tombent souvent d’accord pour accorder la priorité aux « politiques bruyantes » au détriment des « politiques silencieuses ». En santé, les mesures préventives « offrent peu de retombées positives àcourt terme aux électeurs, et leurs effets mettent du temps à se révéler, alors que les investissements en santé curative apportent aux patients des services à court terme immédiatement visibles et génèrent des revenus pour les praticiens et les institutions ».

Au Québec, cela s’est traduit, en 2021, par un effort du gouvernement équivalant à 98 $ par personne en mesures préventives, contre 2360 $ pour les investissements en santé curative. Il est vrai que le Québec arrive en queue de peloton en la matière, avait admis Olivier Jacques lors d’une conférence au mois de mars. Mais l’Ontario, qui passe, au contraire, pour un chef de file, ne faisait pas tellement mieux, avec un rapport de 300 $ pour 3000 $.

Ce phénomène n’est pas propre au Canada. Il se constate partout, précisent nos deux chercheurs, qui ont étudié 25 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour la période de 1970 à 2018.

Et les choses ne s’arrangent pas lorsque le contexte économique et financier se fait plus difficile et qu’il faut procéder à des compressions budgétaires. Là encore, ce sont habituellement les « politiques silencieuses », avec des effets diffus à long terme, qui en paient le prix en premier, les gouvernements voyant non seulement leurs ressources diminuer en période d’austérité, mais aussi leur retard sur les « politiques bruyantes » se creuser.

À gauche comme à droite

Fait étonnant, les différences d’orientation politique des gouvernements n’y changent rien. Qu’ils soient de droite ou de gauche, ils font généralement tous tomber le couperet budgétaire au même endroit lorsque vient le temps de prendre les décisions difficiles.

En matière de santé publique, il y a peut-être un espoir que la pandémie de COVID-19 ait exceptionnellement projeté à l’avant-scène l’importance de ce type d’enjeux et lui vaille une plus grande attention de la part des électeurs, des groupes d’intérêt et des gouvernements, disent nos chercheurs.

Dans une autre recherche, Olivier Jacques explorait la possibilité que les partis politiques dont l’élection semble assurée puissent avoir une meilleure capacité de s’affranchir des exigences à court terme des électeurs et de proposer des politiques ayant un horizon plus long. Les résultats n’étaient toutefois pas aussi concluants qu’on l’aurait voulu.

À voir en vidéo