Nouvel arrivant dans un pays aux prises avec l’inflation

L’augmentation du prix du panier d’épicerie vient aggraver la situation de nombreux demandeurs d’asile.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir L’augmentation du prix du panier d’épicerie vient aggraver la situation de nombreux demandeurs d’asile.

L’inflation a atteint un niveau record au Canada. Derrière les chiffres, il y a des humains qui en subissent les conséquences. Mais tout le monde n’est pas égal devant la hausse du coût de la vie. Cinquième portrait d’une série sur les visages de l’inflation.

À la cafétéria du centre communautaire William-Hingston, dans le quartier Parc-Extension à Montréal, une vingtaine d’immigrants, surtout en provenance de l’Inde, se pressent à leur rendez-vous pour obtenir des paniers de fruits et légumes, de denrées non périssables, de produits laitiers et de soins hygiéniques d’une valeur de 150 $.

La majorité d’entre eux sont des demandeurs d’asile en quête d’un meilleur avenir pour leurs enfants. Ils vivent de leurs petites économies et parfois de l’aide sociale, n’ayant pas encore obtenu un permis de travail. Face à la montée du coût de la vie, cette aide alimentaire est essentielle pour nourrir leur famille.

Le visage rond et doux, le sourire mélancolique, l’attitude réservée, Barinder Kaur les approche pour leur parler. Puisqu’elle maîtrise trois langues indiennes, la trentenaire a été engagée pour faciliter la communication avec l’organisme Ressource Action-Alimentation.

« C’est mon premier travail au Canada », déclare fièrement celle qui apprend l’anglais depuis un an et qui se fait maintenant comprendre très bien dans la langue de Shakespeare. Elle-même a bénéficié des services de cet organisme avant d’y être employée.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Barinder Kaur et sa fille Shubhkaraman, âgée de 2 ans.

Originaire du Pendjab, État du nord de l’Inde, la jeune femme a fui une situation de violence familiale en 2019, alors qu’elle était enceinte d’une petite fille. Elle a été hébergée plusieurs mois dans le refuge pour femmes Maison Dalauze, à Montréal, où elle dit avoir été très bien accueillie. Elle a ensuite voulu s’intégrer dans Parc-Extension, quartier dynamique pour sa communauté culturelle.

Pour joindre les deux bouts, elle doit partager un modeste appartement de deux chambres avec une autre mère monoparentale qu’elle a prise sous son aile. La cohabitation n’est pas toujours facile entre les deux femmes, qui dorment chacune dans la même chambre que leur enfant.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir

Cette année, son propriétaire veut imposer une hausse de 30 $ à leur loyer de 900 $. « C’est beaucoup », s’inquiète celle qui était auparavant professeure d’université en sciences sociales. C’est pourquoi elle se bat actuellement au Tribunal administratif du logement pour éviter l’augmentation. Depuis qu’elle occupe un emploi, la jeune mère à la voix douce dit se priver moins qu’avant. Mais elle voit avec horreur augmenter le prix d’aliments qu’elle et sa fille consomment beaucoup. La pinte de lait a subi une hausse annuelle de 6,7 % en avril, le yogourt, 8,4 %, les lentilles séchées, 15 %, la farine de blé, 11,8 %. Les produits traditionnels indiens sont particulièrement chers, constate-t-elle.

Loin de ses parents

 

Après l’épicerie, la garderie, les couches, l’électricité, Internet, le téléphone, les vêtements, les transports en commun, les médicaments et les produits d’hygiène, une autre dépense est très importante à ses yeux. Celle qui a obtenu le statut de réfugiée tient à envoyer régulièrement de l’argent à son père et sa mère, qui sont restés en Inde et dont elle s’ennuie beaucoup.

« Je ne peux pas y retourner, car je ne serai pas en sécurité. Mon père souffre beaucoup de mon absence et il est malade, alors il ne peut pas travailler », confie-t-elle en éclatant en sanglots.

Elle souhaite ardemment les parrainer pour qu’ils s’installent au Canada, mais « elle doit travailler très fort » pour ça. Elle se serre le plus possible la ceinture pour mettre un peu d’argent de côté. « Je dois montrer à l’Immigration que j’ai assez d’argent pour héberger et nourrir mes parents », dit-elle. Elle ne croit pas que ces derniers pourraient obtenir un visa de visiteur au Canada étant donné leur précarité financière.

Un objectif peut-être lointain

 

Alors que ses dépenses sont appelées à augmenter avec l’inflation, elle craint que son objectif soit long à atteindre. Selon le calculateur de Statistique Canada, son taux d’inflation personnel annuel a atteint 3,4 % en avril.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir

Une fragilité exacerbée

 

Selon la directrice de Ressource Action-Alimentation, Monique Léger, l’inflation vient aggraver la situation de nombreux demandeurs d’asile, qui ont déjà de la difficulté à payer pour subvenir à leurs besoins de base. Une grande partie d’entre eux octroient plus de 50 % de leurs revenus à leur loyer, dit-elle.

« Les gens ont de la difficulté à cuisiner des repas sains, et ça nuit à leur santé », constate avec inquiétude Mme Léger. Étant désespérés d’obtenir des revenus supplémentaires et de régulariser leur statut, ils sont à risque de se faire exploiter par des individus malveillants, observe-t-elle.

Mme Kaur, elle, mange à sa faim. Mais il n’est pas question pour le moment de se payer du divertissement pour elle-même, et très peu pour son enfant. « J’aimerais aller à La Ronde. Un jour, j’irai », assure-t-elle.



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