Des technos québécoises demandent le report de l’application de la loi 96

La loi 96, qui vise à renforcer l’usage du français au Québec, ne fait pas l’affaire d’une bonne partie des entrepreneurs québécois du secteur des technologies. Dans une lettre ouverte publiée mardi matin, trois douzaines d’entre eux — dont les p.-d.g. de Coveo, de Stingray et d’Optel — soutiennent qu’une application précipitée de cette loi « menace de causer d’énormes dommages à l’économie de la province ».
« Vous ne pouvez pas avoir une société francophone dynamique si vous n’avez pas une économie prospère pour la soutenir », lancent d’entrée de jeu les entrepreneurs dans cette lettre adressée au premier ministre François Legault. Les signataires sont des membres du Conseil canadien des innovateurs (CCI), un organisme pancanadien fondé en 2015 par l’homme d’affaires ontarien Jim Balsillie.
Le CCI a pour mandat d’aider les entreprises technologiques canadiennes à devenir plus concurrentielles. Celles-ci faisant face à une pénurie de main-d’œuvre particulièrement sévère depuis quelques années, l’organisme a régulièrement plaidé ces dernières années pour un assouplissement des règles encadrant le marché du travail et de l’immigration, notamment.
Les entrepreneurs québécois signataires de la lettre publiée mardi matin se disent d’accord avec « l’esprit de la loi 96 », qui vise à renforcer la protection de l’identité francophone distincte du Québec. Son application doit toutefois être « mise sur pause » jusqu’à ce que des outils soient mis à la disposition des entreprises et du public par l’entremise de Francisation Québec et que ces outils aient été dûment présentés par le gouvernement, suggèrent-ils.
Un fardeau de plus
Le marché du travail est plus tendu que jamais dans plusieurs secteurs d’activité économique, et les technos n’y échappent pas. Dans cette industrie fortement mondialisée, la concurrence pour attirer les travailleurs spécialisés et les entrepreneurs est vive d’une région à l’autre. Déjà, plusieurs entreprises technologiques québécoises se plaignent depuis des mois de perdre leurs meilleurs employés au profit de sociétés étrangères. Certains voient les nouvelles mesures de francisation que souhaiterait imposer le gouvernement québécois comme un fardeau de plus qui pourrait accentuer cette nouvelle fuite des cerveaux.
Par exemple, l’exigence incluse dans la loi 96 de maîtriser suffisamment la langue française pour obtenir des services de l’État québécois six mois seulement après l’arrivée de nouveaux arrivants paraît « irréaliste » aux yeux du CCI. L’intégration dans une nouvelle société comporte plusieurs défis qui vont bien au-delà de la langue d’usage, comme le logement, l’emploi, etc., plaide l’organisme.
« Si nos meilleurs innovateurs et bâtisseurs d’entreprises partent vers Toronto, Edmonton, Vancouver et Halifax au lieu de rester à Montréal et à Québec, cela causera des effets dommageables permanents à la santé économique de notre province », écrivent les gens d’affaires dans leur lettre. « Ce phénomène est déjà bien réel, mais il n’est pas trop tard pour en amoindrir l’impact. »
Le CCI n’est pas seul à craindre un impact négatif de la loi 96 sur l’immigration et sur le marché québécois de la main-d’œuvre. Ces derniers mois, des groupes d’immigrants ainsi que des représentants des communautés anglophones et autochtones ont exprimé publiquement des craintes que la nouvelle loi ne les pénalise et les désavantage tant dans l’accès à des services publics qu’au marché du travail.