De Netflix à Volkswagen, le (nouveau) succès de la F1 expliqué

Sergio Perez célèbre sa victoire au Grand Prix de Monaco, le 29 mai dernier.
Photo: Sebastien Bozon Agence France-Presse Sergio Perez célèbre sa victoire au Grand Prix de Monaco, le 29 mai dernier.

La Formule 1 a toujours été perçue comme un championnat européen,et le Grand Prix de Montréal a longuement profité de cette aura de prestigieux exotisme pour s’imposer comme un événement qui rayonnait partout en Amérique du Nord. L’intérêt soudain envers la F1 aux États-Unis promet de changer la donne. Elle séduit déjà un tout nouveau pan de l’industrie automobile mondiale.

En 2022, la F1 rejoint un public partout sur la planète. Partout ? Oui. Y compris aux États-Unis, deuxième marché automobile de la planète après la Chine.Même si le pays a épisodiquement accueilli des courses de F1 dans le passé, celui-ci échappait presque totalement à ce Championnat des conducteurs de formule 1. À tel point qu’au sein de grands groupes automobiles comme l’allemand Volkswagen (VW), il est désormais entendu que le rayonnement mondial promis par la F1 surpasse n’importe quelle autre campagne marketing qui coûterait la même chose.

Mieux encore : être présent dans le cirque de la Formule 1 fera vendre assez d’autos pour que l’aventure soit carrément profitable, pense-t-on à la tête de VW. « On n’a simplement plus aucun argument contre », a laconiquement résumé le p.-d.g. du groupe Volkswagen, Herbert Diess, en mai dernier quand on lui a demandé comment la décision a été prise au sein de la multinationale d’associer à la F1, à partir de 2026, ses filiales Porsche et Audi.

Selon l’agence Reuters, Audi prévoit d’allonger 500 millions d’euros pour s’associer à l’écurie McLaren. Porsche devrait devenir un proche partenaire de l’écurie Red Bull. Cette dernière compte,en conséquence de ce nouveau partenariat, réduire sa présence dans d’autres championnats de course automobile au rayonnement moins… planétaire.

Performance et technologie

 

L’ironie de voir s’associer à un championnat incarnant l’excès et la démesure un constructeur d’automobiles qui est en train d’investir plusieurs dizaines de milliards de dollars dans l’électrification de son catalogue de véhicules n’échappe à personne. C’est, semble-t-il, la chose à faire pour convaincre des acheteurs qui recherchent cette image de performance quand ils magasinent une auto neuve, explique le professeur en marketing à HEC Montréal Renaud Legoux.

« Les constructeurs sont en train d’investir des milliards de dollars dans l’électrification, mais ils ne veulent pas perdre cette image de performance et d’excitation qui est liée à la conduite automobile, d’autant plus que l’électrification débute en ce moment par la vente de modèles haut de gamme, un marché où cette notion de performance est très importante aux yeux des acheteurs », dit M. Legoux.

« Et en ce moment, avec sa pénétration du marché nord-américain qui atteint des sommets et son rayonnement international, la F1 est peut-être le meilleur moyen de rendre des marques comme Audi et Porsche plus visibles » auprès de ces consommateurs et amateurs de performance prêts à troquer la cylindrée pour les électrons.

Du marketing de haut niveau, donc. Chose certaine, l’intérêt pour un groupe comme Volkswagen d’entrer en F1 n’est pas celui d’un apport technologique promis par le développement et la mise au point d’une monoplace digne de remporter un Grand Prix comme celui qui aura lieu sur le circuit Gilles-Villeneuve le 19 juin prochain.

« Dans les faits, construire une monoplace et assembler une voiture neuve sont deux choses très différentes », poursuit Renaud Legoux, qui apprécie davantage le bagage historique que possède ce championnat qui a vu le jour en 1950. Il y a certainement une aura de prestige et d’exclusivité associée à la F1. On peut dire la même chose du Grand Prix de Montréal. L’ancien Forum où les Canadiens ont remporté tant de coupes Stanley n’est pas le seul endroit à Montréal où on retrouve quelques fantômes…

Les Villeneuve père et fils ont laissé une empreinte durable sur la métropole en général, et sur l’île Notre-Dame en particulier, qui encore aujourd’hui fait rêver les amateurs de course automobile. « Il y a à Montréal toute une mythologie » qui s’est développée autour du circuit que les propriétaires du championnat voudront probablement essayer de reproduire dans les autres villes nord-américaines qui comptent désormais accueillir la F1 sur une base régulière : Austin et Miami.

Téléréalité sur quatre roues

 

Image de performance, donc, rayonnement international et… un peu de téléréalité, avec ça ? Il semble qu’une incursion dans le quotidien de pilotes et d’écuries qui parcourent le monde dans un niveau de luxe qui est rarement égalé ailleurs est l’ingrédient qui manquait jusqu’ici pour « vendre » la F1 au public américain. Car la hausse subite de popularité de la F1 ces deux dernières années coïncide aussi avec la diffusion d’une série documentaire sur Netflix qui a connu elle aussi un énorme succès populaire international, y compris aux États-Unis.

La quatrième et plus récente saison de Formula 1: Drive to Survive a atteint un nombre record de téléspectateurs l’an dernier, se classant régulièrement parmi les 10 émissions les plus regardées chaque semaine sur Netflix dans pas moins de 56 pays. Sans surprise, cette série qui donne un accès sans précédent à l’arrière-scène de la Formule 1 a été renouvelée pour une cinquième et une sixième saison… au minimum.

Liberty Media, qui a racheté en 2017 les droits de la Formule 1 de l’excentrique Britannique Bernie Ecclestone, est coproductrice de Drive to Survive. L’entreprise établie au Colorado dit avoir vu les ventes de billets pour le Grand Prix des États-Unis bondir de 15 % dans les journées qui ont suivi le lancement de sa première saison. Ce succès n’a pas ralenti depuis.

La popularité de la F1 à la télé américaine a elle aussi profité de cet engouement. L’auditoire moyen d’une course de F1 chez l’Oncle Sam était de 547 000 téléspectateurs en 2018. Cette moyenne est passée à 672 000 après l’arrivée de la F1 sur Netflix. En 2021, 934 000 Américains en moyenne regardent la F1 à la télévision, soit une augmentation de 71 % comparativement à quatre ans plus tôt. Le mois dernier, le premier Grand Prix de Miami a attiré la plus grande audience de l’histoire de la télévision américaine pour une course de F1 en direct, avec 2,6 millions de téléspectateurs.

Liberty Media se félicite doublement du succès de sa stratégie de repositionnement d’une série de course automobile qui, il y a cinq ans à peine, était plutôt perçue comme réservée à des riches milliardaires âgés et décadents. Car non seulement la F1 est populaire maintenant, mais elle risque de l’être longtemps. 40 % de son public aux États-Unis est actuellement âgé de 18 à 24 ans. Un autre quart de sa clientèle se situe dans la tranche 25-35 ans. Du lot, 18 % sont des femmes, ce qui paraît peu élevé, mais représente tout de même le double de ce qu’était cette proportion en 2017.

La F1 commence même à s’immiscer dans des régions des États-Unis où le Nascar régnait jusqu’ici complètement sur la course automobile. Bien des amateurs de F1 regardent le Nascar de haut, une série où les pilotes tournent sans cesse dans le même sens sur des circuits ovales présentant peu de surprises.

Au Texas et en Floride, notamment, la F1 suscite un intérêt qui n’a jamais été aussi élevé. Là encore, Liberty Media peut se féliciter d’avoir su cibler une clientèle moins âgée. Son compte TikTok créé en 2020 compte aujourd’hui 4 millions d’abonnés.

Cet heureux mélange de sport automobile, de documentaire en ligne et de médias sociaux explique le succès renouvelé de la F1, qui n’a jamais été aussi accessible. Naturellement, il lui reste des défis de taille à relever pour assurer la durabilité de ce succès. À commencer par la question environnementale. Une F1 carboneutre, est-ce envisageable ?

Seul l’avenir le dira. Car pour tout le reste, le prestigieux championnat de course automobile semble avoir trouvé les bonnes réponses. Son public est sans cesse plus large. Ses pilotes sont redevenus des superstars. Et même une industrie automobile en plein virage électrique est sous le charme.



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