Une centrale syndicale humaine, à l’image des travailleurs

Catherine Couturier
Collaboration spéciale
En 1972, 521 délégués représentant 187 syndicats étaient réunis au Petit Colisée de Québec pour participer au congrès de fondation de la CSD, célébrant «le début d’un temps nouveau».
Photo: CSD En 1972, 521 délégués représentant 187 syndicats étaient réunis au Petit Colisée de Québec pour participer au congrès de fondation de la CSD, célébrant «le début d’un temps nouveau».

Ce texte fait partie du cahier spécial Les 50 ans de la CSD

Créée par des travailleurs, la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) outille depuis 50 ans ses membres afin de tendre vers une société plus juste.

1972. C’est la fin de la Révolution tranquille. Au Québec, le mouvement syndical est en pleine ébullition. Les grandes centrales — la Corporation des enseignants du Québec (CEQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) — souhaitent la refonte des fondements de la société québécoise, et forment le premier Front commun pour négocier avec le gouvernement, dans ce qui sera en fin de compte un véritable dialogue de sourds.

Plusieurs membres de la CSN ne se retrouvent plus dans leur syndicat. « L’organisation s’est retrouvée à défendre des positions radicales ; ça a ouvert le champ à l’action politique et à la politisation », soutient François Vaudreuil, qui était président de 1997 à 2017. La CSN connaît alors une croissance rapide du nombre de ses adhérents, notamment grâce à la syndicalisation du secteur public.

« Les ouvriers de la CSN ne se reconnaissaient plus. Ils avaient l’impression que le mouvement était dirigé par des intellectuels qui voulaient les manipuler et les instrumentaliser », ajoute celui qui a été également vice-président de la centrale pendant huit ans avant de devenir président, et qui a amorcé son cheminement à la CSD en 1974, à peine deux ans après sa fondation.

Photo: CSD Les membres du premier comité exécutif de la CSD prêtant serment devant le directeur d’élection, Jean-Noël Godin, de la Fédération nationale des travailleurs de l’industrie du vêtement inc. De gauche à droite: Amédée Daigle, Paul-Émile Dalpé, Jacques Dion, Jean-Paul Hétu et Réal Labelle.

Paul-Émile Dalpé, vice-président de la CSN, Jacques Dion, trésorier, et Amédée Daigle, coordonnateur de l’action syndicale, se dissocient des prises de position de la CSN. Près de 1150 délégués se réunissent au Centre Mgr Marcoux à Québec en mai 1972 pour analyser les façons de reprendre possession de leur mouvement. Le statu quo est rejeté, et les délégués votent pour mettre sur pied une nouvelle centrale syndicale. La Centrale des syndicats démocratiques fut officiellement créée lors du congrès de fondation en juin.

« Tout ça reposait sur un principe qui est toujours d’actualité : le fondement démocratique, et le respect de la liberté individuelle des membres et des syndicats affiliés », résume M. Vaudreuil. La majorité des syndicats provient du milieu industriel et des régions.

Une centrale pour et par les travailleurs

 

Dès sa naissance, la CSD se veut une centrale dont les syndicats affiliés sont les propriétaires. « Ce sont eux les décideurs de la destinée de l’organisation. C’est un élément fondateur », raconte Luc Vachon, actuel président de la CSD. La CSD est en effet la seule centrale créée par des travailleurs, sans l’interférence d’un organisme externe (américain, canadien ou religieux).

« Les gens étaient guidés par un souci de liberté, d’émancipation, de solidarité et d’amélioration des conditions de vie et de travail », se remémore François Vaudreuil. Les fondateurs veulent une organisation à leur image. « Il n’y a personne de mieux placé que les travailleurs pour savoir ce qui est le mieux pour eux », poursuit-il.

Chaque syndicat et chaque association membre de la Centrale est autonome : chacun doit assumer des fonctions administratives et démocratiques, et définir ses règles et son fonctionnement. « On ne les met pas dans une boîte : chacun définit sa réalité », explique M. Vaudreuil.

« Notre rôle est de les aider à aller là où ils souhaitent aller, et même là où ils ne pensaient pas pouvoir se rendre », soulève M. Vachon. Il incombe aux syndicats d’assurer les démarches auprès de leur employeur, et d’ainsi défendre les droits de leurs membres.

Des valeurs clés

 

Pour développer l’autonomie de ses membres, la CSD les accompagne de différentes façons. Un des fondements est d’ailleurs la formation des militants, pour assurer la relève. « Un des grands défis à la centrale, c’est que parmi les dirigeants, les gens avaient peu de formation scolaire. On a donc adopté une pédagogie simple, pour que les gens puissent développer une qualité d’analyse, un sens critique et un jugement qui leur sont propres », précise M. Vaudreuil.

Ainsi, la centrale a mis en place des outils dès sa fondation et travaille sur plusieurs axes : l’information (entre ses membres, les associations et avec l’externe), la formation (comment apprendre aux dirigeants à être autonomes et à devenir eux-mêmes des formateurs) et la recherche (pour comprendre la complexité des rapports socio-économiques toujours en changement).

Photo: Réjean Meloche Archives Le Devoir Une manifestation des employés de la Dominion Textile, affiliés à la CSD, en avril 1982

La CSD a voulu créer un milieu ouvert, souple et à dimension humaine. Peut-être en raison de sa taille (c’est la plus petite des centrales), la CSD reste proche de ses membres. Chaque année, les membres de l’exécutif rencontrent tous les représentants des syndicats affiliés, lors d’un congrès ou d’une assemblée plénière. Sans être des événements décisionnels, ces rencontres permettent de préparer le débat et de prendre le pouls des thématiques importantes sur lesquelles travailler. Parce que les sujets de bataille sont définis par les membres.

« La CSD ne se prononce pas sur un sujet si elle n’a pas de mandat précis sur cette question », souligne M. Vaudreuil. Un soutien financier est offert aux syndicats pour favoriser leur participation aux congrès et aux assemblées plénières.

Dans un souci de démocratisation, la CSD a aussi adopté des règles de procédures simples. « On n’utilise pas le code Morin. On veut que les gens s’expriment librement et que personne ne pense qu’il est manipulé par la procédure », remarque M. Vaudreuil. « On s’assure qu’on n’embarque jamais dans une guerre de procédures ni qu’un petit groupe ne prenne le contrôle de l’organisation », ajoute M. Vachon.

La CSD aujourd’hui

« Lors de sa fondation, certains croyaient que la CSD ne durerait pas longtemps », confie M. Vachon. Mais 50 ans plus tard, la CSD continue son chemin. Des 30 000 membres drainés de la CSN à sa fondation, on compte en 2022 environ 72 000 membres, à 95 % issus du secteur privé. Au départ, les travailleurs venaient majoritairement des secteurs du vêtement, du textile, de la métallurgie et du bois ouvrier, mais une grande proportion provient aujourd’hui de la construction, des manufactures et des associations des ressources (familles d’accueil et résidences d’accueil).

72 000
C’est le nombre de membres qui constituent la CSD en 2022, à 95 % issus du secteur privé.

« La configuration du membership a changé de façon importante. Il y a eu plusieurs fermetures, et on a dû accompagner les gens dans ça », se souvient M. Vaudreuil.

La CSD compte aussi plusieurs regroupements professionnels par secteur (agroalimentaire, construction, ressources de type familial, etc.),mais également par région. « Un même secteur aura des enjeux différents d’une région à l’autre », note M. Vachon. Ces regroupements permettent la discussion sur des enjeux propres aux différents milieux de travail, et aux membres de se reconnaître et de former une identité forte.

« C’est important, le travail, dans la construction de la personne et de la société. On passe tellement de temps au travail, on doit aller plus loin que la paye et s’approprier son milieu de travail », croit Luc Vachon.

À plus grande échelle, la centrale syndicale continue de travailler sur des problématiques qui transcendent les organisations avec les autres centrales et dans différentes instances, comme la Commission des partenaires du marché du travail et le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre. Elle est aussi membre de la Confédération syndicale internationale, qui représente près de 200 millions de membres.

« On ne vit pas en vase clos. Le mouvement syndical a intérêt à travailler en collaboration sur des questions comme le salaire minimum, la santé et la sécurité au travail, etc. », observe M. Vachon. En effet, au-delà de la négociation des conditions pour ses propres membres, la lutte syndicale doit servir à bâtir une société plus juste et égalitaire.

« On ne peut pas s’arrêter là. Si la personne perd son emploi et qu’il n’y a pas de filet social, l’augmentation de salaire négociée ne servira à rien. Notre rôle, c’est de travailler à l’amélioration de la société pour tout le monde », conclut M. Vachon. 

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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