Peu d’intérêt pour les certifications Produit du Québec

Le propriétaire de Fab’, Fabrice Tremblay, ne croit pas qu’investir du temps et de l’argent pour obtenir un tel sceau d’approbation vaille la peine pour les petits artisans comme lui.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le propriétaire de Fab’, Fabrice Tremblay, ne croit pas qu’investir du temps et de l’argent pour obtenir un tel sceau d’approbation vaille la peine pour les petits artisans comme lui.

Lancé il y a plus d’un mois par le gouvernement caquiste, le programme de certification Produits du Québec ne soulève pas les passions parmi les fabricants de la province. Seulement 200 entreprises (sur les plus de 7000 qui pourraient être admissibles) ont pour l’instant signalé leur intérêt par l’entremise d’un formulaire en ligne, selon les estimations du programme.

L’artisan propriétaire de Fab’, Fabrice Tremblay, a rempli le formulaire par curiosité, puisqu’il n’engage à rien pour le moment. Mais « fort probablement que je n’utiliserai pas la certification », indique-t-il toutefois.

Il fabrique lui-même des accessoires en cuir — des courroies pour appareils photo, des portefeuilles, des ceintures — dans son atelier de Montréal. Son cuir provient par contre des États-Unis. Il pourrait ainsi se revendiquer, s’il le souhaite, du logo Produit fabriqué au Québec, le deuxième échelon de certification proposé par le gouvernement.

Mais M. Tremblay ne croit pas qu’investir du temps et de l’argent pour obtenir un tel sceau d’approbation vaille la peine pour les petits artisans comme lui. « On ne roule pas sur l’or. Pourquoi payer pour pouvoir dire que c’est fait ici alors qu’on le mentionne déjà partout et que les gens nous croient ? » se demande-t-il.

200
C’est le nombre d’entreprises, sur les plus de 7000 qui pourraient être admissibles, qui
ont signalé leur intérêt pour les certifications Produits du  Québec jusqu’à maintenant.

L’entrepreneur déplore également la création du logo Conçu au Québec. Ce premier échelon de certification exige que le design et la conception des produits soient effectués au Québec, mais leur fabrication, elle, peut avoir lieu n’importe où. « Je ne crois pas qu’il faut donner une médaille à ceux qui font ça, d’autant plus qu’ils vont avoir un sceau qui est pratiquement pareil aux deux autres. On devrait mettre notre énergie à valoriser les choses qui ont été faites ici », affirme-t-il.

L’échelon le plus élevé de certification, Produit du Québec, demande pour sa part qu’« au moins 85 % des coûts directs liés à l’achat d’intrants, y compris les matières premières, à leur transformation et à leur assemblage [soient] réalisés au Québec ».

D’autres entreprises sont aussi sceptiques, d’autant qu’elles ont été échaudées par l’aventure du Panier bleu, qui ne leur aurait apporté pratiquement aucune vente supplémentaire.

« Le Panier bleu a été un flop total, alors le gouvernement n’a pas de crédibilité dans ce domaine-là », juge Dawei Ding, président de Signé local, une plateforme en ligne et un réseau de boutiques qui vend exclusivement des items faits au Québec provenant de plus de 600 fournisseurs. Selon M. Ding, le Panier bleu a semé la confusion chez les consommateurs en donnant une vitrine aussi bien à des produits locaux qu’à des détaillants de biens faits en Chine.

Malgré tout, le dirigeant de Signé local, tout comme l’ensemble des entreprises interrogées lors de la rédaction de cet article, est d’accord avec le principe du programme Produits du Québec.

« Le principe est excellent. C’est bien d’avoir une certification qui permet au consommateur de s’y retrouver, parce que parfois, ce n’est pas évident de savoir ce qui est vraiment fait au Québec et dans quelle mesure », reconnaît d’ailleurs la propriétaire de Garçon de table, Caroline Benoit, qui s’est inscrite en ligne.

De leur côté, les Laboratoires Druide, qui offrent des produits d’hygiène et de beauté, attendent plus de détails de la part du programme avant de prendre une décision. Le prix de la certification va certainement peser dans la balance, admet le directeur de marque, Adel Yakhelef.

Un processus en marche

 

La facture annuelle des certifications offertes par Produits du Québec sera modulée en six paliers, selon les revenus annuels de l’entreprise.

Elle sera, par exemple, de 250 $ pour les entreprises qui engrangent moins de 100 000 $ par an, et de 10 000 $ pour celles dont le chiffre d’affaires dépasse les 50 millions de dollars. Six mois de certification gratuits seront offerts aux entreprises qui auront signalé leur intérêt avant le 24 juin prochain. Ces inscrits — environ 200 pour le moment — devraient être contactés ces prochaines semaines par l’équipe du programme afin d’amorcer le processus.

« C’est un bon début », estime la directrice générale des Produits du Québec, Elfi Morin. « On va se lancer prochainement dans une phase plus active pour le développement des affaires, auprès des détaillants et des manufacturiers. Mais je suis assez contente qu’il y a déjà un démarrage et un intérêt principalement à la suite de l’annonce de M. Legault. »

Les premiers produits vérifiés seront en ligne et sur les tablettes dès cet été, affirme-t-elle.

 

Pour plusieurs PME, l’initiative est louable, mais loin de leurs priorités. « Si la démarche administrative est lourde et prend des mois, je ne suis pas sûre que je vais me rendre jusque-là. Il faut être réaliste, en tant qu’entrepreneurs, on a beaucoup de tâches à accomplir », estime pour sa part la cofondatrice d’Amma Thérapie, Marie-Jeanne Gauthier, qui vend des compresses thérapeutiques.

Il faut dire que les temps sont durs pour les entrepreneurs locaux. Plusieurs signalent des problèmes d’approvisionnement et une augmentation du coût de leurs matières premières, ce qui les oblige à diminuer leurs marges de profit ou à refiler la facture aux consommateurs. Or, l’inflation fait en sorte que les consommateurs cherchent aussi à diminuer leurs dépenses.

La copropriétaire des produits Les mauvaises herbes, Marie Beaupré, fait partie de ceux qui constatent une baisse de l’intérêt pour l’achat local ; elle voit d’ailleurs un début de décroissance s’abattre sur son entreprise. « Si tu as une maison en feu, ta priorité est d’éteindre le feu et non pas de faire le ménage. Donc oui, cette certification est intéressante, mais elle ne répond pas à l’urgence de la situation », image Mme Beaupré.

Elle souhaite l’ouverture d’un dialogue entre les gouvernements et la communauté d’affaires pour trouver des solutions avant que les fermetures d’entreprises s’enchaînent. Elle pense notamment à des crédits d’impôt pour les PME, à des rabais sur l’électricité, à une réduction des frais de transaction par carte de crédit, à du soutien relativement à la hausse des coûts de transport et à des campagnes de sensibilisation à l’achat local.

 

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