La nouvelle mort annoncée de la mondialisation

C’est au moins la quatrième fois en quelques années seulement qu’on annonce la mort de la mondialisation.
Plusieurs ont bien cru que ça y était lorsque, dans sa gênante déconfiture de 2008, Wall Street a entraîné dans sa chute la finance internationale et une bonne partie de l’économie mondiale.
Puis il y a eu ces quatre années durant lesquelles Donald Trump a tiré sur tout ce qui bougeait en matière commerciale, c’est-à-dire non seulement le grand rival chinois, mais aussi les plus proches et fidèles partenaires économiques des États-Unis, ainsi que les règles internationales dont son propre pays avait été le principal architecte.
Est arrivée ensuite la pandémie de COVID-19, pendant laquelle plusieurs pays ont d’abord tout fait pour garder leurs vaccins et leur matériel médical pour eux seuls, et après quoi ce sont les grandes chaînes mondiales d’approvisionnement qui se sont mises à dérailler.
Et maintenant, c’est l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui vient perturber un peu plus encore ces chaînes, en plus de poser le problème de la sécurité et de l’indépendance économique.
On pense évidemment à l’Europe, qui aimerait bien sanctionner plus durement le régime de Vladimir Poutine si elle n’était pas prisonnière de sa dépendance aux énergies fossiles russes. Mais il y a d’autres puissances régionales — la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Arabie saoudite, le Nigeria — qui voient le traitement que les pays occidentaux réservent à la Russie et qui se disent qu’il leur vaudrait peut-être mieux de moins dépendre économiquement d’eux afin d’éviter de subir le même sort un jour, ont noté plusieurs observateurs ces dernières semaines.
Ces puissances n’ont pas dû être rassurées lorsqu’elles ont entendu mercredi la secrétaire américaine au Trésor lancer un avertissement aux pays qui continuent de faire des affaires avec la Russie. Renforçant cette image d’un monde économique où il faudra de plus en plus choisir son camp, Janet Yellen a notamment fait savoir à la Chine que son « intégration dans l’économie mondiale » allait dépendre de facteurs comme sa participation à la campagne contre le régime de Vladimir Poutine, a rapporté l’Agence France-Presse. « À l’avenir, il sera de plus en plus difficile de séparer les questions économiques des considérations plus larges d’intérêt national, y compris la sécurité nationale », a-t-elle clamé à l’intention de plusieurs autres pays, dont l’Inde, sans toutefois les nommer.
Rester entre amis
Tout en appelant à une « modernisation » des grandes institutions économiques internationales, comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, qui tiendront leurs réunions printanières la semaine prochaine, Janet Yellen a réclamé que la Russie soit exclue du G20 et a souhaité davantage d’« amilocalisation » (friendshoring, en anglais).
On connaissait depuis longtemps la « délocalisation » (offshoring, en anglais), c’est-à-dire le déplacement d’emplois manufacturiers des pays développés vers les économies émergentes, où les salaires sont plus bas. Les gouvernements des pays touchés en ont aussi souvent appelé à un retour de ces emplois à la maison — une « relocalisation » (reshoring) — ou, à tout le moins, à un retour aussi près que possible (nearshoring).
Souvent prédites, ces relocalisations se sont rarement matérialisées. Il y aurait pourtant plusieurs avantages à garder tout près nos chaînes d’approvisionnement, a soutenu jeudi Investissement Québec lors du lancement d’une nouvelle certification destinée aux produits conçus et fabriqués au Québec (« Produit du Québec »). Cela permettrait, entre autres, de réduire les coûts de transport, les risques d’affaires et la pollution, en plus de favoriser la production et l’innovation locales.
Avec l’amilocalisation, ou avec l’ally-shoring, il s’agit d’au moins ramener les chaînes d’approvisionnement vers des pays partenaires (amis ou alliés) plus fiables, plus stables et aux valeurs plus proches, faisaient valoir l’été dernier deux experts de l’Institut Brookings, situé à Washington. Remplacer des régimes autocratiques comme la Chine et la Russie par des démocraties libérales comme le Canada, le Mexique ou l’Europe, par exemple.
Tout cela ressemble drôlement au commerce comme il existait au temps de la guerre froide, faisait remarquer le mois dernier The Economist. La différence, c’est qu’à l’époque, l’URSS et la Chine étaient coupées du reste de l’économie mondiale, alors que les autocraties comptent aujourd’hui pour 31 % du produit intérieur brut mondial et que les deux mondes s’achètent et se vendent pour 15 milliards de biens et services chaque jour.
Nécessaire coopération
La meilleure façon de renforcer les chaînes d’approvisionnement n’est pas de les raccourcir ni de les garder chez soi, a écrit le FMI dans une étude publiée cette semaine. Il s’agit au contraire d’injecter le plus de diversité possible dans les sources d’approvisionnement et de prévoir des méthodes de fabrication plus souples.
« La fragmentation de l’économie mondiale en blocs géopolitiques […] entraînerait des coûts d’ajustement terribles », a déclaré jeudi la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva. « Dans un monde où la guerre en Europe entraîne la faim en Afrique, où une pandémie peut faire le tour du globe en quelques jours et avoir des répercussions pendant des années, où la pollution, d’où qu’elle provienne, contribue à l’élévation du niveau de la mer partout sur la planète, la menace d’un arrêt de la coopération mondiale ne peut être surestimée : il en va de notre prospérité collective. »
À l’avenir, il sera de plus en plus difficile de séparer les questions économiques des considérations plus larges d’intérêt national, y compris la sécurité nationale