Entrevue avec l'explorateur Bernard Voyer - À chacun son sommet

Entre ses expéditions vers les plus hauts sommets du monde, entre sa conquête des deux pôles, Bernard Voyer parle, raconte. Il multiplie les conférences au cours desquelles il livre un message humain, très humain. «Je n'ai pas la prétention d'apprendre quoi que ce soit à l'auditoire. Et les graphiques, les tartes, les histogrammes... Ce n'est pas pour moi. Je leur raconte donc une histoire, une aventure humaine. Je raconte du vrai, ce que j'ai vécu et pas ce que je ferai. Je parle de mes grandes joies, de mes peurs, de mes angoisses, de cette confiance que j'ai su développer. De cette lourdeur et de la difficulté de chacun de ces pas qui nous amènent au sommet.» Les membres de l'auditoire s'y reconnaissent toujours.

Pour l'explorateur, il n'y a pas de différence entre mener à bien une expédition et réussir un projet d'entreprise. Chacun a son sommet, son défi. Il y a aussi cette notion d'aventures et d'engagement en affaires. Dirigeants et entrepreneurs doivent être dotés de ces qualités qui permettent d'atteindre la cible. «Plus le projet est grand, plus on vise haut, plus on élève un édifice en hauteur, plus le solage doit être profond. Ce solage, c'est la partie invisible. Pour qu'il soit solide, il faut qu'il repose sur de vraies valeurs. Je pense à l'amitié, à l'amour, à la famille, à la confiance, à l'émerveillement.»

Émerveillement. Le mot revient souvent au cours de l'entrevue. C'est le «pourquoi» de son action. «Monter l'Everest, c'est en partie physique, génétique. La capacité pulmonaire est probablement la plus grande qualité. Mais il y a plus, beaucoup plus que la mise en forme. Il faut aller chercher à l'intérieur de soi l'émerveillement. Cette capacité d'émerveillement se cultive. Il faut l'entretenir, en prendre soin.» Au sommet de l'Everest, à 8848 mètres, il a parlé à son père, décédé. «Jamais je n'ai eu assez de souffle pour lui dire comment ce petit bout du monde prend autant de place en moi.»

Un passionné

On le devine, cet homme originaire de

Rimouski est un passionné. «Il y a la naissance, il y a la mort. L'important c'est ce que l'on fait entre les deux.» Il a à peine huit ans lorsqu'il atteint son premier sommet. Sa première montagne: le Rocher blanc. Au haut de ces huit mètres d'altitude, il y a le vent venant de partout. Et il y a cette vision sur le lointain. «J'étais plus grand que mon père!», lance-t-il.

En 30 ans d'expédition, il lui est arrivé de vouloir abandonner. «Alors je me retourne. Je regarde mes pas dans la neige et je me dis que ce chemin là m'appartient et que chaque mètre supplémetaire est une victoire. Des gens m'aident, j'ai une équipe. Mais ces pas dans la neige, ce sont les miens.» Bernard Voyer parle de cette traversée de 1500 km de l'Antarctique, traînant quelque 160 kilos dans une neige épaisse. Après deux jours, il n'avait parcouru qu'une distance de huit kilomètres. Découragé? «Je me suis dit: il m'en reste 1492. Je viens d'en faire huit, le Pôle m'attend!»

L'explorateur a atteint le pôle Nord, le pôle Sud, le Toit du monde. Sa dernière mission: l'ascension du mont Logan au Yukon, plus haut sommet au Canada avec ses 6050 mètres. Mais il n'a qu'un chemin de vie, qu'il associe à une course au trésor. Et le trésor est ce que tous recherchent: le bonheur. «Les alpinistes ont toujours été considérés comme étant des conquérants de l'inutile. Il est certain que si je fais cela pour épater la galerie et les voisins, je vais me tuer. Or, on ne va pas à la montagne pour mourir. On va à la montagne pour vivre. Ça ne donne rien de rêver à sa vie. Il vaut mieux vivre ses rêves.»

Il recherche ces endroits magiques où tout ce qui l'entoure est plus fort que lui. «Que ça fait du bien à l'âme. Nous ne sommes plus le "boss" de rien. Tout cela pourrait être paniquant mais moi, ça me remplit, ça m'attire.»

S'il faut n'utiliser qu'un seul mot pour résumer ce qu'il est, Bernard Voyer suggère le mot heureux. «Malheureux, je n'aurais pas monté l'Everest. Il y a peu de gens malheureux qui bâtissent de grandes choses.» C'est ainsi qu'il dit aux dirigeants d'entreprise qu'ils peuvent fournir à leurs employés les plus beaux bureaux ou l'équipement informatique dernier cri, «s'ils n'ont pas le goût, s'ils n'aiment pas ce qu'ils font, tout cela ne donne rien. On ne commence pas à aimer ce que l'on fait à 9h le matin».

Fixer la cible

Il revient, ainsi, à la passion, à l'engagement. «Il faut savoir où l'on s'en va, fixer la cible, le sommet à atteindre. Il faut mettre de l'humain dans l'entreprise et teinter l'entreprise de sa personnalité. Il faut être heureux dans ce que l'on fait et faire quelque chose qui permet de nous développer, de nous bâtir. Tout cela dans le respect du chemin parcouru. On revient au solage, à cette partie invisible. Et quelle que soit la tempête, il ne faut jamais perdre de vue le sommet.»

Mettre de l'humain, lâcher les graphiques... Le message de l'explorateur s'articule constamment autour d'un jeu d'équilibre entre le rationnel et l'émotif. Entre la stratégie et la passion. Mais en bout de piste, «l'important est de respecter le chemin parcouru et de pousser plus loin. De respecter ses passions. Et qui dit respect dit concessions.» À l'autre extrême, il y a la peur de l'engagement, la recherche du confort. «Dans tout changement apparaît une zone d'inconfort. Or, beaucoup de gens n'acceptent pas de reculer ou refusent cette zone d'inconfort.»

L'échec

La réussite, c'est trois petits mots: rêver, se lever, agir. Une trilogie ou une boucle essentielle. Le succès est lié à la volonté de faire, au bonheur et au bien-être qu'on en ressent. Mais l'échec? «Il y a le faux perdant, celui qui n'est pas placé devant le bon objectif, dont le défi n'est pas pour lui. Placez-moi à la présidence de la Banque Nationale et je connaîtrai l'échec. Mais un perdant, au sens large, est quelqu'un qui ne fait pas de compromis pour sa passion. En fait, il n'est pas passionné ou encore il n'a pas su trouver sa passion.»

Il déplore le fait que pour plusieurs, la plus belle «job» devient celle où l'on est responsable de rien. «Maudit que ça doit être ennuyant», lance-t-il. Bernard Voyer fait, au passage, un clin d'oeil à la mondialisation et au désengagement qu'elle engendre. «Les entreprises sont plus grandes, la direction est plus éloignée. On ne sait plus qui est le propriétaire de l'entreprise. La mondialisation a sûrement du bon, mais elle rend plus difficile le développement d'un sentiment d'appartenance.»

Bernard Voyer parle, raconte. Cet homme, qui peut ressentir du vertige sur un escabeau délabré, mais qui remet toute sa confiance dans ses câbles, a le sentiment que tout ce qu'il a vu ne lui appartient pas entièrement. Son message est simple et vrai. Il vient de son vécu. «Sur une échelle de un à dix, supposons que votre défi est à sept et que vos problèmes sont à six. Ces problèmes prennent donc beaucoup de place, d'importance. Mais si vous élevez votre défi, ces mêmes problèmes deviennent ridicules. En fait, si tu ne veux pas de problèmes, donne-toi un grand défi.»

Ce texte a été publié dans l'édition de juin de Sécurité financière, la revue professionnelle des membres de la Chambre de la sécurité financière.

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