Le captage du carbone n’est pas la solution miracle dont rêve le Canada

Photo: Mark Ralston Agence France-Presse

À première vue, on dirait une deuxième chance qui nous serait offerte après des décennies de négligence face à l’urgence climatique. On pourrait même penser que les technologies de captage et de stockage du carbone offrent la possibilité de sauver la planète… tout en continuant de développer les énergies fossiles. Le Canada voudrait le croire. « Folie », disent les experts.

Les raisons économiques sont le plus souvent évoquées pour justifier le fait que nous n’avançons pas plus vite dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, il n’y a plus une minute à perdre si nous voulons éviter le pire, a rappelé cette semaine le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans le troisième volet de son sixième rapport faisant la somme des connaissances scientifiques sur le sujet.

Qui plus est, la « réduction immédiate et radicale des émissions » de gaz à effet de serre (GES) requise ne coûterait même pas si cher, estime-t-on, surtout si nous arrêtons de la repousser sans cesse à plus tard. À l’échelle de la planète, le prix économique pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C ne se situerait ainsi qu’entre 0,09 et 0,14 point de pourcentage de croissance perdue par année pour un manque à gagner, en 30 ans, de 2,6 % à 4,2 % sur un produit intérieur brut (PIB) destiné, durant la même période, à plus que doubler.

Traduction : le PIB augmenterait de 95,8 % à 97,4 %, de 2020 à 2050, au lieu de 100 %. Et ces évaluations ne tiennent même pas compte des dommages économiques qui seront infligés autrement par les bouleversements climatiques ni des retombées économiques et humaines positives qui découleraient d’un virage vers une économie plus durable.

Le plus beau, a expliqué lundi le président du GIEC, Hoesung Lee, c’est que « nous disposons des outils et du savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement. […] Plusieurs politiques, réglementations et instruments du marché se révèlent efficaces. Si nous les appliquons plus systématiquement, à plus grande échelle et de manière plus équitable, ils pourront contribuer à réduire radicalement les émissions et à stimuler l’innovation ».

Cher et pas au point

 

Certaines solutions permettraient même de faire des économies. C’est le cas, par exemple, des énergies éolienne et solaire qui se révèlent souvent déjà moins chères que les options plus polluantes, tout comme le transport électrique, collectif ou actif, ou encore l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments.

Il y a toutefois d’autres solutions dont le coût s’annonce beaucoup plus élevé et les promesses de succès beaucoup plus incertaines, constate le GIEC. C’est le cas notamment des technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC), qu’on veuille les brancher directement sur les cheminées des usines polluantes ou les utiliser simplement comme de gros assainisseurs d’air.

La façon la plus répandue, la moins chère et la plus éprouvée de capter et d’emprisonner le carbone est encore de planter des arbres, de protéger les espaces verts et d’adopter de meilleures pratiques agricoles. Mais il y a quand même une limite aux terres disponibles et à ce qu’elles peuvent faire, disent les experts.

Il est bien question, depuis des années, de technologies mécaniques et chimiques qui feraient le même travail, mais elles restent pour le moment largement expérimentales, très coûteuses et terriblement énergivores. On a fait grand cas, par exemple, l’automne dernier, de l’ouverture en Islande de la plus grande installation de CUSC au monde capable d’aspirer 9000 tonnes de GES par année de l’atmosphère. Il aurait toutefois fallu préciser que cela n’équivaut qu’aux émissions de 2000 voitures, à un coût de 600 $US par tonne, avait noté Reuters.

De plus, l’ensemble des capacités déployées dans le monde jusqu’à présent ne permettent que de retirer environ 0,001 % des émissions de carbone, rapportait le mois dernier un rapport du groupe de recherche Environmental Defence. Chef de file dans le domaine, le Canada a, quant à lui, déjà investi pour 5,6 milliards en subventions gouvernementales dans des projets de CUSC depuis 2000, avec pour résultat une capacité d’absorption équivalente à 0,05 % de ses émissions de GES.

La nécessaire fin du pétrole

 

Pour le GIEC, ces technologies devront, malgré tout, servir dans les secteurs où l’on manque véritablement d’options moins polluantes, comme les cimenteries et l’industrie chimique, ainsi que pour capter les quelques émissions de GES qui, même dans le meilleur des cas, continueront de s’échapper ici et là. Il n’est toutefois pas question d’y voir une pièce maîtresse de la lutte contre les changements climatiques et encore moins le moyen de poursuivre le développement des énergies fossiles qui devront, au contraire, avoir été abandonnées à 60 % pour le pétrole, 70 % pour le gaz et 100 % pour le charbon en 2050, même avec l’aide de mesures de CUSC.

Le Canada fonde malgré tout de grands espoirs dans ces mesures. Au lendemain de son approbation du nouveau projet pétrolier Bay du Nord, le gouvernement Trudeau a promis de nouvelles subventions au CUSC qui atteindront graduellement 1,5 milliard par année à partir de 2026-2027. « Nous n’avons pas à choisir entre une économie forte et un environnement sain », avait fait valoir le premier ministre Trudeau lors du dévoilement de son plan de réduction des GES, la semaine dernière, disant à la fois la même chose que le GIEC et le contraire.

« Les activistes du climat sont parfois dépeints comme de dangereux radicaux. Mais les vrais radicaux dangereux, ce sont les pays qui augmentent leur production de combustibles fossiles, a déclaré sur Twitter mardi le secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Investir dans de nouvelles infrastructures de combustible fossile est une folie morale et économique. »

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