Industrie de l'ombre cherche visibilité
En rapide développement malgré les difficultés de financement et les contraintes exercées par le système public, l'industrie des technologies de l'information dans le secteur de la santé cherche tant bien que mal à sortir de l'anonymat au Québec.
«On a beaucoup parlé du secteur des technologies de l'information en général jusqu'à l'éclatement de la bulle des technos, explique Frédéric Chevalier, porte-parole de la firme montréalaise de collecte et d'analyse de données économiques E&B DATA, qui vient de réaliser une étude sur le sujet. Puis, la mode a été aux biotechnologies. Mais on parle très peu des technologies de l'information en santé, même si elles représentent déjà autant sinon plus d'emplois au Québec.»Ils seraient, selon l'étude, plus d'une centaine d'entreprises et près de 3000 personnes au Québec à travailler, par exemple, au développement de logiciels de traitement et d'archivage de données en santé, à la mise au point de systèmes d'imagerie médicale ou au perfectionnement de la télémédecine. Plus de 75 % d'entre eux seraient basés dans la région de Montréal. En comparaison, on compterait environ 150 entreprises et 2500 travailleurs en biotechnologie. Le taux de croissance des deux secteurs serait grosso modo le même, à un peu plus 10 % par année.
«Ça me paraît clair que l'on fait à l'heure actuelle un peu office de parents pauvres dans le domaine, commente la directrice générale de l'Association de l'industrie des technologies de la santé (AITS), Lorraine Beaudoin. Il faut dire que l'on parle d'une industrie qui est jeune et en émergence mais dont les perspectives de développement sont très grandes.»
Au-delà du plaisir de voir
son nom imprimé en grosses lettres sur la couverture des magazines économiques, la lutte pour la reconnaissance signifie pour le secteur une condition importante à son développement futur. «Le financement des entreprises tient évidemment au fait que l'on connaisse et que l'on sache apprécier ce qu'elles font», poursuit Mme Beaudoin. Le développement de nouveaux produits dans ce domaine, poursuit-elle, nécessite également une étroite collaboration entre les entreprises et les institutions de santé, collaboration qui ne peut être obtenue que lorsque les autres nous accordent un peu de crédibilité.
Des progrès seraient toutefois déjà observables, note-t-elle. Le ministère de l'Industrie et du Commerce du Québec (MIC) a récemment prêté son concours à l'AITS pour dresser un portrait du secteur. Montréal International a quant à lui ajouté le secteur des technologies de l'information en santé à la dernière version de son plan d'action.
La faute de l'État
Selon Hubert Manseau, p.-d.g. de la société d'investissement en capital de risque Innovatech du Grand Montréal, le principal handicap de ce secteur tient bien moins d'un problème de reconnaissance que du fait qu'il soit obligé de faire affaire avec le secteur public. «Il n'y a rien de pire que de devoir vendre au gouvernement, affirme-t-il. Ça tourne tout de suite à la politique. Vendre à un hôpital aux États-Unis, c'est faire affaire avec un homme d'affaires. Vendre au système de santé ici, c'est faire affaire avec des lobbyistes.»
Ce contexte peut avoir un impact sur la capacité des entreprises québécoises à trouver les capitaux nécessaires à leur développement, concède-t-il, du fait que les investisseurs attendent habituellement qu'une compagnie ait deux ou trois contrats en poche avant d'y injecter des fonds. Ironiquement, dit-il, ces premiers projets de nos compagnies québécoises sont souvent réalisés dans des hôpitaux étrangers tellement il est difficile de se faire une place dans les institutions du réseau public québécois.
À Québec, on se dit un peu surpris d'entendre ainsi condamner le réseau public québécois de la santé. «Je dirais, au contraire, que toutes les fois que nous avons discuté de ces enjeux, le milieu de la santé s'est montré très favorable à la cause de nos entreprises, déclare Jacques Fortin, directeur intérimaire à la direction des industries des technologies de l'information et des communications au MIC. Des hôpitaux comme Sainte-Justine servent d'ailleurs de vitrines technologiques à certaines d'entre elles. Mais ce n'est évidemment pas toujours facile pour les entreprises québécoises de se faire une place à côté de grandes compagnies comme IBM lorsqu'il faut choisir des applications logicielles qui auraient, par exemple, à être compatibles d'un établissement à l'autre.»
Quant au fait que certaines entreprises aient à chercher une partie de leur financement à l'étranger, il n'y voit pas un motif à s'alarmer. Les marchés financiers de Boston et de New York se sont spécialisés dans ces domaines pointus, dit-il. Rien n'empêche, et cela est même plutôt souhaitable, que les entreprises d'ici ne reposent pas uniquement sur du financement local, ajoute-t-il.
Un petit coup de pouce
La compagnie Electromed de Saint-Eustache se spécialise dans le traitement informatique et l'archivage numérique de radiographies cardiaques. Le système qu'elle vend permet notamment l'examen de l'image animée du battement de coeur d'un patient n'importe quand et à n'importe quel poste de travail dans un hôpital.
Affichant un chiffre d'affaires de 7,1 millions, elle compte pour le moment une vingtaine d'employés au Québec et une trentaine d'autres en France et aux États-Unis. Ses ventes doublent chaque année depuis trois ans. Sur la soixantaine de systèmes qu'elle a vendus jusqu'à maintenant, seulement trois l'ont été au Québec.
«Il est très difficile de se financer au Québec, confirme son président et chef de la direction, Nadim Bakhach. Nous, il nous a fallu aller à Toronto et à New York. Aujourd'hui, on aimerait pouvoir développer des projets conjointement avec des hôpitaux d'ici. Mais on se fait dire par certains que leur hôpital est trop gros pour faire affaire avec une petite entreprise québécoise et qu'ils préfèrent faire affaire avec une multinationale. C'est complètement absurde. On a comme clients à l'étranger certains des plus grands hôpitaux du monde, comme l'hôpital Georges-Pompidou et l'Institut du coeur de Paris!»
«On ne demande pas la charité, conclut-il. Il y a, dans le domaine, de petites merveilles au Québec qui n'attendent qu'un petit coup de pouce pour devenir de grandes stars internationales.»