Une crise alimentaire pire qu’en 2008 se profile à l’horizon

L’explosion des prix agricoles avait commencé bien avant la guerre en Ukraine. Et la crise alimentaire qui se dessine dans plusieurs coins du monde risque d’être la pire qu’on ait vue depuis longtemps.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, c’est l’un des principaux sujets de préoccupation. L’une, ravagée par les bombes, et l’autre, emmurée derrière des sanctions économiques, comptent ensemble pour plus de 30 % des exportations mondiales de céréales ; l’Ukraine pour la moitié des exportations d’huile de tournesol ; la Russie pour 13 % de celles d’engrais et 11 % de celles de pétrole, deux facteurs au cœur de la production, de la transformation et du transport des aliments, rapporte l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Comme le cycle de la production agricole s’étend sur plusieurs saisons, on a là, réunis, tous les ingrédients non seulement d’une flambée des prix, mais d’une crise alimentaire qui menace de durer longtemps.
Le choc initial sera d’abord ressenti dans les endroits où l’on était déjà au bord de la famine — l’Afghanistan, le Yémen et l’Éthiopie — et ceux dont l’essentiel des importations de blé, par exemple, provenait de l’un ou l’autre des deux pays — le Congo (plus de 60 %), l’Égypte (plus de 70 %), la Turquie (plus de 80 %) et l’Érythrée (100 %).
Mais comme on a largement affaire ici à des produits échangés sur des marchés mondiaux, le phénomène ne s’arrêtera pas là, préviennent les experts, et il pourrait faire particulièrement mal aux pays les plus pauvres où, en moyenne, 40 % des dépenses de consommation vont à l’alimentation, contre 17 % dans les pays développés.
Déjà mal parti
Et puis il y a le contexte dans lequel le conflit arrive. « La hausse rapide des prix des produits alimentaires et de l’énergie pose d’importantes difficultés aux pays et aux consommateurs les plus pauvres », déplorait la FAO dans son plus récent portrait de la situation, où il était question d’une augmentation de 34 % du prix des aliments et de 25 % de celui des intrants en seulement six mois.
Mais ça, c’était au mois d’août 2021. La semaine dernière, les hausses des prix sur un an s’élevaient à 48 % pour les céréales, à 79 % pour le blé, à 35 % pour les engrais et à 86 % pour les carburants.
Avant même l’invasion russe de l’Ukraine, le secteur agricole faisait déjà les frais de l’impact de la COVID-19 sur la chaîne de production. Là aussi, on était aux prises avec la hausse des prix de l’énergie, les difficultés de transports, les goulots d’étranglement dans l’approvisionnement et les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs. On devait également composer avec les répercussions des bouleversements climatiques, la production agricole ayant souffert des sécheresses de l’an dernier en Amérique du Nord et des inondations en Europe, notamment. Inquiets, certains gouvernements avaient cru bon de restreindre leurs exportations d’aliments, compliquant un peu plus encore la vie des autres.
En 2020, la prévalence mondiale de l’insécurité alimentaire avait autant augmenté que lors de l’ensemble des cinq années précédentes et concernait désormais près d’une personne sur trois dans le monde (2,37 milliards), avait alors rapporté l’ONU. Or, avant même que les tanks russes n’entrent en Ukraine, les prix mondiaux des céréales étaient déjà supérieurs à ce qu’ils étaient lors de la crise alimentaire de 2007-2008, observaient la semaine dernière des chercheurs de l’International Food Policy Research Institute (IFPRI), un centre de recherche spécialisé américain. À l’époque, la crise avait entre autres été provoquée par l’augmentation des demandes chinoise et indienne, la hausse des prix de l’énergie, le détournement d’une partie de la production vers les biocarburants, les catastrophes climatiques, la spéculation et un réflexe de défense protectionniste.
La situation avait à la longue conduit à de nombreuses révoltes de la faim, semblables à celles qui ont contribué au fameux Printemps arabe, quelques années plus tard.
Pas rassurant
« Rétrospectivement, [les dernières crises alimentaires de 2007-2008 et 2011-2012] apparaissent finalement moins graves en comparaison de ce à quoi nous faisons face en 2022 », prévient l’IFPRI. C’est que cette fois, on a affaire à trois facteurs aggravants, explique-t-on.
Premièrement, la crise de 2007-2008 avait été précédée par une période exceptionnelle de croissance économique et de réduction de la pauvreté, aussi bien dans les pays riches que dans les pays en développement. Le monde d’aujourd’hui, lui, sort à peine de la pire récession mondiale depuis la Grande Dépression, laissant les populations urbaines des pays pauvres particulièrement vulnérables à une explosion des prix des aliments.
Deuxièmement, les gouvernements de partout dans le monde, et particulièrement en Afrique, sortiront de la pandémie de COVID-19 avec beaucoup moins de marge de manœuvre financière pour venir en aide à leur population que par le passé.
Enfin, explique l’IFPRI, la crise de 2007-2008 avait été relativement courte, car le système alimentaire mondial avait répondu relativement rapidement à la demande. « Mais qui peut affirmer avec confiance que les effets de la crise ukrainienne sur les prix des aliments, des carburants et des engrais s’atténueront bientôt ? »
Pas rassurant, tout ça.