Le crédit de 500$, la «moins mauvaise» solution

500$ seront remis aux 6,4 millions d’adultes québécois gagnant moins de 100 000$ par année.
Photo: Paul Chiasson La Presse canadienne 500$ seront remis aux 6,4 millions d’adultes québécois gagnant moins de 100 000$ par année.

Le crédit de 500 $ offert par le gouvernement Legault à 6,4 millions de Québécois aurait probablement dû être plus ciblé et risque effectivement d’aggraver (un peu) la hausse du coût de la vie qu’il est censé venir atténuer, constatent des économistes. Mais il était aussi la « moins mauvaise » solution proposée, et le gouvernement aurait difficilement pu rester les bras croisés.

« En tant qu’ancien haut fonctionnaire des Finances, je vous dirais qu’il y a certaines choses qui sont inévitables dans la vie, a expliqué en entretien téléphonique au Devoir, mercredi, le président du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois, Louis Lévesque. Si vous faites face à une poussée inflationniste, que le gouvernement n’a pas de problème financier immédiat et qu’il est dans un contexte qui le rend plus sensible à l’opinion publique, il sera immanquablement question d’une compensation financière aux citoyens, au moins ponctuelle. »

Les principaux facteurs à l’origine de la forte hausse de l’inflation depuis moins d’un an — comme les perturbations des chaînes d’approvisionnement, les prix mondiaux de l’énergie ou la politique monétaire des banques centrales — ne dépendent pas des gouvernements, et encore moins de celui du Québec, rappelle l’ancien ministre libéral sous Jean Charest et aujourd’hui professeur à la Chaire en macroéconomie et prévisions de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM Alain Paquet. « Les options pour le gouvernement étaient limitées. Il a trouvé quelque chose qui était simple et rapide. Le fait que cela puisse aussi avoir des retombées politiques positives n’a sûrement pas nui non plus. »

Les politiques fiscales québécoises comprennent déjà des mécanismes qui permettent la prise en compte de l’inflation et qui fonctionnent plutôt bien, observe le professeur et chercheur principal à la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout. Chaque année, la table d’imposition, le crédit d’impôt pour solidarité ou l’Allocation famille sont ajustés en fonction du coût de la vie, mais avec un décalage dans le temps. Ce décalage aurait fait mal cette année, compte tenu de la vitesse à laquelle les prix ont grimpé depuis le dernier calcul des paramètres d’indexation, cet automne, et il commandait un rajustement forfaitaire immédiat.

S’appuyant sur un panier de biens et services de 22 000 $ correspondant à « un niveau de vie de base », le gouvernement Legault a estimé le manque à gagner à 432 $, qu’il a arrondi à 500 $ et qu’il a promis mardi aux 6,4 millions d’adultes québécois gagnant moins de 100 000 $ par année.

Ce versement unique et non récurrent d’un montant total de 3,2 milliards devrait permettre de compenser environ la moitié de l’effet de cette « inflation inhabituellement forte », qui devrait s’élever à 4,7 % en moyenne cette année, a indiqué mercredi l’économiste en chef de la Banque Laurentienne, Sébastien Lavoie.

On aurait pu faire mieux

 

« C’est beaucoup d’argent. On peut se demander s’il n’y aurait pas eu lieu d’abaisser le plafond de revenus des contribuables admissibles et de mieux cibler les ménages qui en ont vraiment besoin », dit Alain Paquet.

Louis Lévesque est assez d’accord. « Je doute que les gens qui gagnent 90 000 $ par année se soient attendus à recevoir une compensation du gouvernement. »

« Cette mesure a l’avantage d’être simple et d’assurer un envoi d’argent rapide aux personnes qui en ont besoin », note pour sa part Luc Godbout. « Une approche plus ciblée en fonction des caractéristiques des ménages aurait probablement demandé plus de temps. »

L’expert ne croit pas que l’on puisse aller jusqu’à parler d’une mesure régressive, surtout si l’on tient aussi compte de la « prestation exceptionnelle pour le coût de la vie » annoncée cet automne pour les 3,3 millions de personnes à plus faibles revenus, qui s’élevait à 275 $ pour les personnes seules et à 400 $ pour les couples. « En proportion des revenus et des dépenses des ménages, les compensations totales offertes ont été plus importantes en bas qu’en haut de l’échelle. »

Est-ce que l’envoi de 3,2 milliards dans les poches des contribuables québécois ne risque pas, ironiquement, de venir soutenir leur consommation et contribuer aux pressions inflationnistes ? « C’est certain, dit Louis Lévesque. D’autant plus qu’on peut parier sur le fait que l’exemple du Québec sera suivi par d’autres gouvernements. »

Quand on compare…

Lorsqu’on fait le tour de toutes les propositions qui avaient été faites par les uns et les autres en vue du budget, la solution retenue par le ministre des Finances, Eric Girard, apparaît malgré tout la meilleure aux yeux des experts consultés. « Une baisse de la TVQ ou des taxes sur l’essence, par exemple, aurait été une mauvaise idée, parce qu’il était important d’avoir une mesure temporaire et qu’elle aurait été encore plus mal ciblée », fait valoir Alain Paquet.

« Ce n’est évidemment pas l’idéal. Mais quand on regarde l’ensemble des propositions qu’il y avait sur la table, et qu’on tient compte du fait qu’on cherchait quelque chose de rapide et ponctuel… Disons que c’était probablement la moins mauvaise manière de faire », affirme Luc Godbout.

Louis Lévesque partage généralement cet avis. Mais à force d’être questionné sur le sujet, il finit par faire une confidence. « Tout cela aurait pu coûter moins cher et être mieux ciblé, mais ça peut aller. Mais, comme économiste qui travaille depuis longtemps sur les questions de finances publiques, j’avoue, ce n’est pas nécessairement la chose dans le budget qui me préoccupe le plus. Je dois dire que ce qui me fascine, c’est toute cette attention qu’on porte sur les enjeux à court terme, alors que je suis surtout porté à y chercher la vision et les stratégies qui pourraient nous aider à surmonter nos défis structurels à plus long terme, comme la santé et la productivité. »

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