La construction résidentielle ralentit après un bond historique

Isabelle Delorme
Collaboration spéciale
Près de 68 000 mises en chantier résidentielles ont été comptabilisées par la SCHL en 2021, un niveau qui n'avait pas été atteint depuis 1987.
Photo: Jeff McIntosh La Presse canadienne Près de 68 000 mises en chantier résidentielles ont été comptabilisées par la SCHL en 2021, un niveau qui n'avait pas été atteint depuis 1987.

Ce texte fait partie du cahier spécial Immobilier

Une année « exceptionnelle ». C’est le qualificatif employé par les professionnels de la construction résidentielle pour décrire l’année 2021. Si la baisse des taux d’intérêt a accéléré les pelletées de terre sur les chantiers, la pandémie a aussi donné l’envie de déménager vers des zones plus excentrées. Malgré une baisse en 2022, la construction neuve devrait se maintenir à un niveau élevé.

C'est tout d’abord un ralentissement des mises en chantier résidentielles que la pandémie a provoqué au printemps 2020. Puis, « le rebond a été tellement fort qu’il a permis de plus que rattraper le terrain perdu », constate Hélène Bégin, économiste principale au Mouvement Desjardins. L’année 2020 s’est donc distinguée par plus de 53 000 mises en chantier (+11 % par rapport à 2019). Mais c’est en 2021 que la construction a atteint des sommets.

La meilleure année depuis 1987

 

Près de 68 000 mises en chantier résidentielles ont été comptabilisées par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) en 2021. Un niveau que le secteur n’avait pas atteint depuis 1987. « C’est aussi la troisième parmi les meilleures années de tous les temps ! » lance Paul Cardinal, directeur du service économique de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ). Avec 35 600 mises en chantier, les logements locatifs ont enregistré un record absolu. « On n’avait jamais vu cela dans l’histoire du Québec », rapporte M. Cardinal (les données débutent en 1955).

68 000
C’est le nombre de mises en chantier résidentielles comptabilisées par la SCHL en 2021, un niveau qui n’avait pas été atteint depuis 1987.

Ces chiffres exceptionnels s’expliquent par trois raisons principales. « La pandémie a provoqué une forte baisse des taux d’intérêt, car les banques centrales craignaient un repli important de l’économie », explique Paul Cardinal. L’augmentation des prix à Montréal et le développement du télétravail ont par ailleurs poussé beaucoup de Québécois à déménager. « Il y a un regain de popularité pour la maison unifamiliale, la banlieue et même les régions rurales », observe le directeur.

Les mises en chantier ont augmenté dans un rayon d’une heure autour de la métropole, mais aussi dans des zones comparativement très abordables, comme la région de Trois-Rivières (+63 %). La troisième explication est à chercher du côté de la rareté de l’offre sur le marché de la revente, qui s’accompagne d’une surenchère. « Les gens ont beaucoup épargné et ont pu diriger ces fonds dans des maisons neuves en périphérie et dans les zones rurales, où il y a beaucoup plus de terrains disponibles qu’à Montréal », ajoute Hélène Bégin.

Une baisse depuis trois mois

 

Le point culminant de cette envolée a toutefois été atteint il y a quelques mois. « Nous sommes en baisse depuis décembre 2021. En février 2022, les mises en chantier d’habitations ont chuté de 39 % par rapport à février 2021 », observe Paul Cardinal, qui impute l’inversion de la courbe aux problèmes d’approvisionnement (fenêtres, poutrelles, fermes de toit, etc.) et à la hausse du coût de la main-d’œuvre et des matériaux. « Nous étions de toute façon déjà au maximum de ce que l’industrie pouvait faire à cause des problèmes de main-d’œuvre », précise-t-il.

« L’an passé, les prix des maisons neuves ont augmenté de 20 %, et des retards de livraison ont été provoqués par le manque de matériaux », observe Hélène Bégin, pour qui la charge pèse particulièrement sur les constructeurs, tenus par des dispositions contractuelles, et les acheteurs qui subissent les conséquences au bout du compte.

Un ralentissement prévu

 

Les professionnels du secteur s’attendent à une prolongation de la baisse, d’autant que les taux d’intérêt commencent à remonter. « Je prévoyais une augmentation du prix des maisons neuves de 10 % en 2022, mais en fonction du conflit en Ukraine et des sanctions économiques appliquées à la Russie, ce chiffre pourrait atteindre 15 % », prévient Paul Cardinal. La Russie exportant notamment du bois, de l’aluminium, de l’acier et du pétrole, les coûts de matériaux et de transport pourraient être touchés. « Cette situation est à surveiller étroitement, de même que l’augmentation des taux d’intérêt », indique le directeur.

Pourtant, les Québécois manquent de logements. « Nous avions estimé l’an dernier qu’il manquait entre 40 000 et 60 000 logements privés au Québec. Je suis en train de refaire cette évaluation, mais je crois que nous sommes certainement plus proches des 60 000 », indique Paul Cardinal.

Un retard auquel s’ajoute un problème d’abordabilité. « Si nous pouvions construire ces logements d’un coup de baguette magique demain matin, ils coûteraient 30 % plus cher que si nous les avions construits deux ans auparavant. Cela ne veut donc pas dire qu’ils se vendraient comme des petits pains chauds », lance le directeur, qui observe toutefois que la reprise à la hausse du nombre de résidents non permanents pourrait venir stimuler la demande de logement locatif.

Avec 55 000 nouvelles habitations attendues en 2022, Hélène Bégin prévoit une chute de 18,9 % par rapport à l’année précédente (le segment unifamilial serait le plus touché, l’activité restant forte pour le secteur locatif). En 2023, ce taux continuerait à baisser de 5,5 %, selon Desjardins. Mais l’économiste rappelle que cette contraction est relative : « L’année 2022 resterait excellente, puisque 2021 a été vraiment exceptionnelle. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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