Résister à la tentation de l’austérité

Le ministre des Finances, Eric Girard, se donne comme défi d’« atteindre l’équilibre budgétaire sans que les citoyens s’en rendent compte ». Il n’imposera pas de mesures d’austérité malgré la poussée inflationniste actuelle, assure-t-il dans un entretien avec Le Devoir.
M. Girard doit déposer mardi le dernier budget du mandat de la Coalition avenir Québec. À quelques jours de cet exercice, installé dans les bureaux du ministère des Finances à Québec, il a dit garder le cap sur 2027-2028 pour renouer avec l’équilibre budgétaire. « Non », il ne compte pas donner un coup de frein dans le financement des services publics. Et non, il n’a « pas du tout » l’intention d’imposer des mesures d’austérité aux Québécois pour ramener les dépenses au niveau des revenus, atteste-t-il. « Le but, c’est d’atteindre l’équilibre budgétaire sans que les citoyens s’en rendent compte », résume l’élu.
« En poussant la croissance, on augmente les revenus. En investissant justement dans les principales missions de l’État — santé, éducation, enseignement supérieur —, on s’assure que [ces missions] sont [bien] financées à long terme. Et on va converger vers l’équilibre budgétaire », poursuit-il.
Pour la deuxième fois en quatre ans, il s’apprête à déposer un budget pendant qu’une crise préoccupe la planète entière. En 2020, l’état de pandémie avait été déclaré au lendemain du huis clos budgétaire. Cette fois, c’est l’invasion russe de l’Ukraine qui secoue les marchés de l’énergie et tire les prix vers le haut. « On a fermé les prévisions [pour le budget] le 4 mars. L’invasion était commencée depuis le mois de février, alors oui, on a ajusté nos prévisions pour l’économie et l’inflation en fonction de ce qui se passait, à la dernière minute », confie le ministre.
Il énumère les crises qu’il a traversées en 24 années à la Banque Nationale. « Je suis formé pour prendre la pression », dit-il. « Lorsqu’il y a le plus de tension, que les gens sont les plus énervés, c’est là qu’il faut être le plus calme. »
Un chèque, puis un autre
Le thème central de son budget sera sans contredit le coût de la vie. « C’est la préoccupation numéro un », reconnaît M. Girard. Déjà, le premier ministre, François Legault, s’est engagé à envoyer des chèques aux Québécois pour contrer les effets de l’inflation. « Ça va être un montant unique ; “same payment for everybody” », s’est-il avancé dans les deux langues.
Jeudi dernier, le chef du gouvernement a annoncé qu’il souhaitait envoyer un second chèque pour pallier la croissance anticipée des tarifs d’hydroélectricité. En 2019, le gouvernement Legault a adopté un projet de loi qui liait la facture d’Hydro-Québec à l’inflation. Or voilà que la hausse des prix laisse entrevoir une augmentation de 5 % de la facture d’électricité à compter d’avril 2023. « Oui, c’est possible que ce soit 5 %. Ce n’est pas irréaliste », juge le ministre Girard.
Il a été mandaté, avec le ministre de l’Énergie, Jonatan Julien, pour trouver un mécanisme limitant la flambée des tarifs. Le ministre des Finances refuse de dire si un changement législatif sera nécessaire pour y parvenir. Mais il fixe les balises qui devraient le guider dans l’exercice. « La Banque centrale vise 2 % [d’inflation] par année à long terme. Normalement, il y a très, très peu de fluctuations en dehors de la bande cible de 1 à 3 %. Alors, ce qui pourrait être fait, c’est compenser ce qui excède 3 % », avance-t-il.
L’élu est encore plus prudent au sujet des « chèques » qui doivent être annoncés dans son budget. Il évoque une aide calquée sur celle de la mise à jour économique de novembre. Il avait alors annoncé une « prestation exceptionnelle » pour les personnes à faible ou moyen revenu admissibles au crédit d’impôt pour solidarité. Le calcul, basé sur la mesure du panier de consommation (environ 21 000 $ pour les dépenses de base d’une personne seule), tient compte de l’écart entre l’indexation du régime fiscal (2,64 %) et l’inflation. En clair : « on a compensé pour la différence entre [les deux] », résume l’élu, qui avait alors octroyé jusqu’à 275 $ pour les personnes seules et 400 $ pour les couples.
Sa mise à jour, en novembre, visait 3,3 millions de personnes. « Et ce que j’ai dit publiquement, c’est qu’on regardait pour une mesure d’application plus générale », lance-t-il, en rappelant qu’il y a « 6,8 millions d’adultes » au Québec.
L’an dernier, le budget Girard consignait l’intention du gouvernement de reporter l’atteinte de l’équilibre budgétaire à 2027-2028. La pandémie puis la difficulté du Québec à retrouver le plein-emploi avaient contraint le ministre à revoir le délai de cinq ans inscrit dans la législation, avait-il expliqué. La manœuvre permettait aussi à la CAQ de repousser d’éventuelles compressions au lendemain des élections de 2022.
Le Québec au plein-emploi
Un an plus tard — et malgré les soubresauts causés par le variant Omicron et la guerre en Ukraine —, M. Girard souligne que le Québec a renoué avec le plein-emploi, une étape essentielle sur le chemin vers l’équilibre budgétaire. « Au mois de février, nous sommes à 4,5 % » de taux de chômage au Québec, fait-il remarquer.
À ses côtés, le sous-ministre Pierre Côté — qui peaufine le travail sur le vingtième budget de sa carrière — souligne que la situation actuelle n’a rien à voir avec « la crise de surendettement » dont avait hérité le précédent gouvernement.
« Après la crise [de 2007-2008], ça a pris six, sept ans avant de revenir tranquillement au bon endroit », a-t-il rappelé.
Or, cette fois, le rebond est « spectaculaire ». « On a fermé le moteur économique et, quand on l’a reparti, tout le monde était prêt. […] Ce qu’il y a de spécial aussi, c’est que les gens sont ici, consomment ici, n’ont pas commencé à faire de voyages. Et les programmes gouvernementaux leur ont mis de l’argent dans les poches. Il y a donc une surépargne, les gens commencent à dépenser, et on voit ça arriver dans l’économie », a-t-il ajouté.
Dans le contexte, pas question de freiner sec les dépenses en infrastructures. « La pandémie a montré les vulnérabilités du système de santé. On a une population vieillissante et des infrastructures vieillissantes aussi. […] Donc, on a besoin d’investir dans nos infrastructures scolaires, en santé, en transport en commun. Bref, il faut continuer, mais il faut faire attention aux pressions sur les prix », affirme le ministre Girard.
3 %
C’est la limite de la hausse des tarifs d’Hydro-Québec envisagée par le ministre des Finances, Eric Girard.