L’économie russe pourrait tenir encore longtemps, mais à quel prix?

Riche en matières premières, la Russie devrait malgré tout parvenir à passer au travers des nouvelles calamités économiques qu’elle s’est attirées par sa propre faute. Mais cela ne se fera pas sans mal pour sa population ni sans plomber encore plus ses chances de prospérité future.
Le président russe a promis mercredi une série d’aides financières aux ménages et aux entreprises russes pour faire face à l’avalanche de sanctions économiques auxquelles leur pays doit faire face depuis qu’il s’est lancé dans l’invasion de l’Ukraine. Il s’est notamment engagé à augmenter « le minimum vital, les salaires des fonctionnaires » et les retraites, a rapporté l’Agence France-Presse, et même à « réduire la pauvreté et les inégalités ». « Bien sûr, la nouvelle réalité va nécessiter des changements structurels profonds de notre économie », a-t-il admis. « Ce sera difficile », mais cela permettra d’être plus indépendant des pays de l’Ouest.
Les sanctions économiques et financières qui se sont abattues sur la Russie depuis le début de la crise sont les plus lourdes imposées à une grande puissance depuis la Deuxième Guerre mondiale, rappelait encore cette semaine le Peterson Institute for International Economics. On parlerait au bas mot de 5500 mesures imposant un embargo commercial sur la vente ou l’achat de certains biens (carburants fossiles, armement, technologies…), gelant les avoirs russes à l’étranger ou coupant le pays d’importants canaux financiers.
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Il est encore difficile de prévoir les retombées qu’auront toutes ces mesures, constatait cette semaine le Wall Street Journal, d’abord parce qu’il est trop tôt pour avoir les statistiques officielles, mais aussi parce que le Kremlin n’a aucun intérêt à les faire connaître. Les estimations des experts vont d’une contraction économique cette année de 6,2 %, selon Standard & Poor’s, de 13,4 % à 24 % pour Moody’s, à jusque 33 %, selon l’Institute for International Finance, ce qui laisse entrevoir un choc plus grand que celui de la terrible crise financière russe de la fin des années 1990 (-10 %). « C’est un formidable acte d’autodestruction », constatait l’un de ces experts.
L’été en avril
Le rouble a déjà perdu au moins la moitié de sa valeur, faisant exploser le prix des biens importés et risquant de catapulter l’inflation à des sommets. Au dernier décompte, plus de 400 entreprises étrangères ont quitté la Russie, au moins temporairement, soit parce qu’elles étaient directement exposées aux sanctions, soit parce qu’elles craignaient d’être quand même frappées indirectement, soit pour protéger leur image de marque. Pour toutes les autres, les temps s’annoncent difficiles, avec l’effondrement de la demande intérieure et la perturbation des chaînes d’approvisionnement. Les employés d’Avtovaz, premier producteur de voitures du pays, ont ainsi appris cette semaine que leurs vacances d’été, normalement prévues du 25 juillet au 14 août, seront finalement devancées au début du mois prochain, faute de pièces à assembler.
Grande productrice d’énergies fossiles, de céréales et de minerais dont a soif l’économie mondiale, la Russie continuera, cependant, de trouver preneur à l’étranger, préviennent les experts. Surtout parce que l’Europe ne peut pas, pour le moment, se passer de son énergie. Mais aussi, parce que d’autres pays, dont la Chine et l’Inde, sont moins regardants sur le sort de l’Ukraine, d’autant plus qu’ils savent qu’ils seront en position d’exiger de généreux rabais.
Tout dépendra de ce que feront l’Europe et la Chine. Mais la Russie peut tenir encore longtemps.
Il y a une limite toutefois au carburant qui pourra être redirigé ailleurs, faute de suffisamment de pipelines notamment, observait jeudi The Economist. Et puis, même la Chine ne peut pas toujours offrir des produits et des technologies de même niveau que les Occidentaux. De plus, les compagnies chinoises n’ont pas envie, elles non plus, de s’exposer aux sanctions.
Coûts à long terme
De toute façon, la leçon que Vladimir Poutine a tirée des sanctions qui lui avaient été imposées lorsqu’il avait annexé la Crimée en 2014, c’est qu’il vaut mieux dépendre le moins possible des autres et tendre plutôt vers la sécurité et l’autarcie, rappelait cette semaine Le Monde. Il s’en est effectivement rapproché en matière de denrées de première nécessité ainsi que de finances publiques. Cela a été nettement moins concluant en matière technologique, en plus de se traduire par un appauvrissement relatif de la population.
« Tout dépendra de ce que feront l’Europe et la Chine. Mais la Russie peut tenir encore longtemps », expliquait la semaine dernière l’ancien conseiller du président Poutine et aujourd’hui professeur à Sciences Po Paris, Sergueï Gouriev, en entrevue à l’Institut Bruegel, un centre de recherche économique européen.
Quoi qu’il en soit, cela se traduira par un recul économique considérable, a estimé l’expert. Particulièrement pour les populations les plus pauvres, que leur président pensait charmer avec sa campagne militaire. Mais aussi à long terme avec, notamment, tous ces cerveaux qui fuient le pays, les investisseurs qui s’en détournent et les technologies auxquelles la Russie n’aura pas accès. « Vous savez, les dictatures coûtent déjà cher en armée, en moyens de répression et en corruption. Mais là, Poutine pourrait bien ramener l’économie russe 30 ans en arrière. »