Un géant européen de la biométhanisation débarque au Québec

Le géant danois de la biométhanisation NGF Nature Energy projette la construction de deux usines pour traiter chaque année plus d’un million de tonnes de lisier et de déchets agricoles. Ces projets permettront de produire non seulement du méthane pour alimenter le réseau gazier québécois, mais aussi des milliers de tonnes de digestat pour remplacer des fertilisants chimiques en agriculture.
L’entreprise qui exploite une douzaine d’usines de biométhanisation en Europe travaille sur la construction et l’exploitation d’un premier projet de 100 millions de dollars à Farnham, en Estrie. L’usine doit transformer annuellement 600 000 tonnes de déchets organiques, dont du lisier porcin et bovin, pour produire 20 millions de mètres cubes de biométhane, l’équivalent de ce qui est nécessaire pour chauffer près de 15 000 résidences.
Or, en décembre, l’entreprise a discrètement enregistré une société au Québec pour chapeauter une initiative similaire à Louiseville, en Mauricie, dont la taille et la capacité seraient similaires selon les informations du Devoir. « Notre projet à Louiseville n’en est encore qu’à ses débuts, je ne peux donc pas commenter davantage pour le moment », a répondu par courriel Hans Henrik Dahl Andersen, responsable du développement commercial Amérique du Nord chez Nature Energy.
Dans des documents déposés auprès de la Commission de protection du territoire agricole, il est question d’une usine « de 90 millions de dollars » qui pourrait « produire jusqu’à 5 % du gaz renouvelable de la province ».
Agriculteurs
Des agriculteurs de la région seraient partenaires à 20 % et investiraient dans l’équipement nécessaire au traitement des fumiers et du lisier, selon ce qui y est décrit. « En règle générale, dans nos autres usines, les agriculteurs possèdent environ 10 à 20 % », explique Hans Henrik Dahl Andersen.
Le partenariat s’expliquerait par le fait qu’une partie des matières traitées retourne aux agriculteurs sous forme de digestat, une matière composée de nutriments pouvant remplacer des engrais chimiques en agriculture. Dans le cas de l’usine de Farnham, 95 % du lisier et des déchets organiques traités — 570 000 tonnes — seraient par la suite épandus dans les champs de la région.
Énergir a confirmé au Devoir avoir des discussions avec Nature Energy pour, à terme, injecter dans son réseau le biométhane produit. Aucune entente n’a été conclue, note la porte-parole du distributeur, Catherine Houde, rappelant par ailleurs que « les promoteurs qui souhaitent développer des projets de production de gaz naturel renouvelable (GNR) au Québec doivent nécessairement s’arrimer avec Énergir et/ou Gazifère ».
Elle ajoute : « Nature Energy est un joueur sérieux et respecté qui a à son actif plusieurs projets en Europe. »
Créée en 2015, l’entreprise s’est rapidement taillé une place en Europe. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur une particularité du Danemark : le pays détient l’une des plus fortes densités d’élevages au monde. Par exemple, on y dénombre plus de 13 millions de porcs pour 5,8 millions de citoyens ; au Québec, on élève environ 7 millions de porcs pour une population de près de 8,5 millions.
Nature Energy, qui prévoit ouvrir une dizaine d’usines chaque année d’ici 2025, transforme annuellement 4,4 millions de tonnes de déchets organiques en 158 millions de mètres cubes de biométhane.
« C’est une bonne nouvelle que ce soit une entreprise du Danemark, parce que c’est un pays qui est très avancé dans le développement de ces technologies », estime Philippe Dunsky, président de Dunsky Énergie + Climat. Le quart de la consommation de gaz naturel du pays scandinave provient du biométhane, et Nature Energy en produit à elle seule le tiers.
L’industrie a été stimulée par la mise en place de mesures comme l’interdiction, en 1998, de la mise en décharge des déchets organiques et des restrictions quant à l’épandage d’engrais à base d’azote et de phosphore dans les champs.
« Des dizaines de projets »
M. Dunsky souligne que les deux projets de Nature Energy représentent une bonne part « des 120 m3 de GNR » produit dans la province. Il ajoute : « Mais ce n’est pas révolutionnaire non plus, parce que, pour atteindre l’objectif du Québec d’ici 2030 — 10 % de GNR dans le réseau gazier —, il va falloir plusieurs projets de cette envergure. »
L’arrivée d’un acteur aussi important en sol québécois n’est pas étrangère à la volonté du gouvernement du Québec de stimuler la filière des bioénergies. Le gouvernement doit publier une stratégie à ce sujet ce printemps. Cet automne, une source gouvernementale impliquée dans le dossier indiquait au Devoir que le gouvernement de Legault envisageait d’injecter des « centaines de millions, voire plus d’un milliard » pour le développement des bioénergies et de l’hydrogène.
C’est une bonne nouvelle que ce soit une entreprise du Danemark, parce que c’est un pays qui est très avancé dans le développement de ces technologies
Les usines de Nature Energy sont « des projets d’envergure », dit Geneviève Tremblay, attachée de presse du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, sans toutefois détailler davantage leurs particularités. Le gouvernement veut développer cette filière, dit-elle, ajoutant que « des dizaines de projets » ont été soumis au gouvernement à des fins de financement.
La Politique énergétique 2030 du gouvernement du Québec vise à augmenter de 25 % la production de bioénergie par rapport à 2013 dans la province, et le gaz naturel renouvelable est considéré comme une source de bioénergie.