Le Canada met un frein sérieux à l’importation de produits russes

Le Canada imposera des tarifs douaniers de 35 % sur les produits russes et biélorusses, a annoncé jeudi la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland.
Le Canada est ainsi le premier pays à leur révoquer le statut de « nation la plus favorisée » en tant que partenaire commercial, principe de base du droit international économique. Ce principe permet à l’ensemble des membres de l’Organisation mondiale du commerce, de même qu’à d’autres partenaires commerciaux choisis, de bénéficier d’un traitement égal à la frontière.
« Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que le président Poutine, ses complices […] et l’économie russe paient le prix de cette grave erreur historique », a justifié Mme Freeland, annonçant également des sanctions contre dix dirigeants de Rosneft et Gazprom, des entreprises d’État russes dans le secteur du pétrole et du gaz naturel.
« Les coûts économiques de la guerre barbare du Kremlin sont déjà élevés et ils continueront de monter », a averti Mme Freeland, faisant notamment référence à la chute du cours du rouble et à la fermeture de la Bourse de Moscou pour toute la semaine.
Après avoir imposé d’importantes sanctions financières, le Canada s’attaque directement au commerce, touchant l’ensemble des entreprises russes, fait remarquer Geneviève Dufour, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke.
« Actuellement, quand le Canada importe des produits, c’est généralement entre 0 et 3 %, dit Mme Dufour. Trente-cinq pour cent, c’est très élevé par rapport à notre moyenne [de droits de douane]. C’est suffisant pour pousser des entreprises à s’approvisionner ailleurs. Je n’ai pas l’impression que le Canada va continuer à recevoir beaucoup de produits russes. »
Éviter le ressac
Selon la juriste, le Canada a dû évaluer que ces mesures ne feraient pas trop mal aux entreprises canadiennes, qui sont celles qui doivent payer les tarifs si elles font le choix d’acheter quand même des produits russes. En effet, la part des importations de biens provenant de la Russie est faible au Canada. En 2021, elles représentaient 2,1 milliards de dollars, par rapport à une valeur totale de 610 milliards de dollars en importation. Les industries qui importent le plus sont dans le secteur des engrais et du pétrole.
De l’autre côté, la Russie est le pays de destination d’environ 0,1 % des exportations canadiennes. La situation pourrait donc ne pas être catastrophique si Moscou imposait en retour une mesure similaire. Certaines entreprises canadiennes, comme Bombardier Produits récréatifs (BRP), ont d’ailleurs déjà cessé temporairement l’envoi de leurs produits vers la Russie. « Depuis le conflit en Crimée et les sanctions internationales qui ont suivi, les ventes de BRP en Russie représentent maintenant moins de 5 % de nos ventes totales », ont fait savoir par courriel les responsables des relations médias de l’entreprise.
Par ailleurs, le Canada contrevient ainsi aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Pour le justifier, le gouvernement pourrait toutefois invoquer l’article XXI b) iii de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, qui prévoit une exception lorsqu’un pays doit « prendre toutes mesures qu’[il] estimera nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité », et ce, « en temps de guerre ou en cas de grave tension internationale ».
Mme Freeland a dit travailler avec ses « partenaires et alliés pour les encourager à faire les mêmes pas ». Aux États-Unis, un sénateur démocrate a d’ailleurs déposé cette semaine un projet de loi en ce sens. Selon le média Bloomberg, l’Union européenne étudie aussi cette possibilité. Ces pays devront évaluer les effets qu’une telle mesure pourrait avoir sur leur propre économie, selon leur dépendance aux produits russes.
Exportations militaires vers la Russie
Entre 2010 et 2020, les fabricants canadiens ont envoyé en Russie pour une valeur de près d’un million de dollars de marchandises et de technologiesmilitaires, selon une compilation effectuée par Le Devoir à partir de données retrouvées dans les rapports d’exportations de marchandises militaires sur le site Web d’Affaires mondiales du Canada.
Un sommet de plus d’un demi-million de dollars a été atteint en 2014, au moment où la Russie envahissait la Crimée. Mais le Canada a ensuite imposé des sanctions au pays, ce qui explique pourquoi les exportations ont considérablement chuté les années suivantes, souligne Srdjan Vucetic, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa. L’expert étudie de près les exportations militaires canadiennes, et ce sont principalement des armes à feu et des logiciels qui ont été vendus à la Russie avant 2015.
En 2020, six licences ont été autorisées par le gouvernement fédéral à des fabricants qui ne sont pas identifiés. Une valeur de 1361,97 $ en armes en feu d’un calibre de moins de 20 mm et d’accessoires a été envoyée en Russie.
Ottawa a le pouvoir de bloquer la vente d’armes vers des pays, notamment s’il y a un risque de violation grave des droits de la personne. Sur 58 demandes de licence qui ont été refusées en 2020, une l’a été à destination de la Russie sur la base que cela n’était pas « conforme aux intérêts du Canada en matière de politique étrangère et de défense ».
Affaires mondiales Canada n’avait pas encore répondu aux questions du Devoir au moment où ces lignes étaient écrites.